Les dernières intempéries qui ont affecté plusieurs régions du pays nous imposent une question lancinante : Pourquoi nos villes sont-elles sujettes aux inondations à la première averse exceptionnelle? En fait, le pays a connu, au cours des trente-cinq dernières années, des inondations importantes (1969, 73, 82, 84, 90, 95, 2000 et 2003) qui ont causé d'importants dégâts matériels et entraîné des pertes humaines. L'on rappelle qu'en 1982, de graves inondations ont fait plus de 70 victimes à Sfax et dans sa banlieue. Depuis 1994, une politique de prévention et de protection des villes a été initiée et mise en œuvre et nombre de projets ont été réalisés, pour des crédits avoisinant les 120MD. Malgré cela, et depuis cette date, et pour ne citer que ces deux cas, la chute de 180mm en moins de 24 h et les crues de la Mejerdah provoquent, en février 2003, d'importants dommages dans le Nord-ouest. En septembre de la même année, la capitale enregistre 140mm de pluie en deux heures de temps qui occasionnent des dégâts considérables aux habitations et aux infrastructures. Pourquoi ces inondations malgré l'engagement politique pour la protection des villes contre ce fléau ? Si nous considérons la politique de prévention des risques naturels, hors de nos frontières, force est de constater qu'elle est bien plus perfectionnée avec des institutions spécialisées, des plans rigoureux. Cela diffère totalement des dispositions prises chez nous où les parties concernées se heurtent à plusieurs difficultés et à nombre de contraintes d'ordres différents. Personne ne peut nier l'existence de plans d'aménagement urbain (PAU) ni celle d'un programme d'action destiné à contenir ou réduire les risques. Cependant, les actions menées dans ce cadre ne paraissent nullement évidentes. Qu'en est-il en fait de la prévention qui comprend les volets de l'information, de la communication et de la sensibilisation aux risques ? De la prévision, de la surveillance, de l'alerte ? Qu'en est-il de la protection proprement dite, de la préparation, de l'intervention, de l'organisation des secours, puis de la réhabilitation? Car une stratégie bien pensée doit tenir compte des événements passés. Il convient ici, en l'occurrence de se poser des questions sur les mesures d'interdiction et de prescriptions applicables aux constructions nouvelles qui ont, en fait, valeur de servitude publique et qui doivent être joints aux documents d'urbanisme. Or, nous nous rendons à l'évidence que dans les zones exposées aux risques qui, soit dit en passant, doivent être identifiées de manière précise, les règles sont souvent bafouées : en témoignent les constructions d'habitations anarchiques précaires sur les lits mêmes des cours d'eau. Les règlements d'interdiction de construire sur ces zones existent bien, mais par considérations « humanitaires », l'on fait preuve d-un regrettable laxisme jusqu'à ce que l'irréparable se produit. A cet égard, la responsabilité des autorités régionales et communales est bien engagée. Et à plusieurs niveaux : dans l'actualisation des PAU, dans l'interdiction d'urbanisation des zones à risques, dans l'entretien des cours d'eau (curage, calibrage…), dans l'implantation de bassins de rétention, mais aussi et surtout dans la prise de mesures de prévention et de précaution des risques liés aux changements climatiques et la coordination entre les différents intervenants. Rappelons que le maire d'une ville demeure le premier responsable de la gestion communale de tels risques. C'est sous sa responsabilité qu'est élaboré le PAU, c'est lui qui accorde les permis de construire, c'est sous sa direction que se dessinent les projets et que se prennent les mesures. C'est aussi lui le premier responsable des adjudications pour la réalisation des ouvrages de réseautage pour eaux pluviales et usées qui, souvent sont combinés. De même qu'il assume la responsabilité de la réception des travaux, lesquels, répondent peu aux clauses des cahiers des charges, car accordés aux moins disant. Mais bien que redevable de résultats probants, il convient d'ajouter à sa décharge qu'il ne dispose pas toujours de moyens devant correspondre à l'action attendue. D'où la responsabilité des services centraux. A ce stade, l'on ne saurait que relever les difficultés, chez nous, d'une politique de prévention des catastrophes naturelles. Difficultés institutionnelles, juridiques, financières, techniques et de gestion. Il y a bien absence d'une stratégie globale et coordonnée de prévision et de lutte, la législation demeure lacunaire en la matière, l'intégration des facteurs de risques naturels dans le processus de développement urbain est insuffisante tout comme les différents contrôles municipaux. Sans compter la faiblesse des ressources humaines spécialisées et les outils de prévention. Alors, quelles solutions pour parer à ces catastrophes pourtant prévisibles ? Nous aurons, sans aucun doute, à veiller à tirer les leçons des crises passées et à renforcer la coordination entre les différents acteurs. D'abord, et sur le plan institutionnel, il faudrait veiller à généraliser aux sites les plus exposés, la réalisation d'un service de maintenance des ouvrages de protection contre les inondations, à l'instar de celui de Sfax. Comme il convient de former et de recruter un personnel adéquat (ingénieurs, architectes, urbanistes) et mobiliser la communauté scientifique et technique en vue d'une amélioration de la gestion des risques. Et, last but not least, convaincre, via les différents moyens de communication, les habitants des zones vulnérables de la nécessité de changer de résidence, en appliquant la loi avec la rigueur nécessaire et même à leur corps défendant, car il y va de leur vie et de celle des leurs. M.BELLAKHAL Source : Séminaire sur « Prévention des risques majeurs urbains » (Alger le 13/16 juin 2005) : communication du Dr. Riadh Haj Taieb, Secrétaire Général de l'Association Tunisienne des Urbanistes