A l'heure des tournages et de la mise en boîte des séries et des feuilletons ramadanesques, nous avons entrepris de faire un voyage au pays de la fiction pour mieux connaître les genres et pour savoir ce que nous consommons et ce pourquoi nous le consommons. Dans notre article paru dans l'édition du 28 juillet intitulé «les raconteurs d'histoires», nous avons évoqué l'importance du scénario dans le processus de création d'une fiction audiovisuelle. Et puisqu'un film ou un feuilleton est une histoire, nous avons rappelé, par la même occasion, la différence entre l'histoire et son récit. L'histoire, c'est ce qui s'est passé dans la réalité ou ce qui aurait pu se passer (dans les fictions), rapporté dans l'ordre chronologique, alors que le récit est le traitement dramatique, c'est-à-dire la manière de raconter cette histoire, qui suppose de mettre l'accent sur des parties de l'histoire, d'en supprimer d'autres, et de contracter ou dilater le temps réel pour créer le temps de la narration*. Mais avant de continuer à expliquer les mécanismes de cette écriture pas tout à fait comme les autres, voyons qui sont ces raconteurs d'histoires qu'on appelle scénaristes ou écrivains de l'image? Ce sont sûrement des gens qui, dans leur prime enfance, ont été exposés jusqu'à plus soif à des histoires de grand-mère et autres contes ; ils ont pris l'habitude de se nourrir de chimères. Ils doivent avoir cette «crédulité» face aux fictions et cette habitude de lire. Mais, diriez-vous, ces gens-là ne deviennent pas forcément des écrivains ou des scénaristes. Alors quelle est la différence entre quelqu'un d'accro à la lecture et qui aime tout simplement la fiction et un autre qui choisit de devenir lui-même raconteur d'histoires? Certes, le point commun entre les deux, c'est cette passion de la fiction. Mais celui ou celle qui fait de cette passion un métier doit avoir cette autre passion : l'écriture. Il doit apprendre, très tôt, à écrire. Entretenir un journal intime peut constituer un début. A part qu'un journal intime aide à s'exprimer, il nous apprend également à mettre des mots sur nos émotions. Ecrire, souvent et même n'importe quoi, aide aussi, pour plus tard, à rompre avec l'angoisse de la feuille blanche. Exercer son imagination, c'est comme faire du jogging à des rendez -vous précis. C'est considérer que l'imagination est un muscle qu'il faut faire travailler tous les jours à la même heure. Une fois souple, ce muscle devient généreux, à la demande. Mais pour écrire, il faut savoir lire. Un scénariste est sans conteste «un bon lecteur», c'est-à-dire que quand il plonge dans un livre, il en sort «mouillé». Cette métaphore, on la tient du personnage principal de L'hygiène de l'assassin, un roman d'Amélie Nothomb où un Prix Nobel du roman déclare à une journaliste venue l'interviewer, qu'un mauvais lecteur est celui qui plonge dans un livre comme un scaphandrier, il en sort sans une goutte d'eau. C'est pour dire que l'écrivain accorde tellement foi à la fiction, que les chimères de l'imagination risquent même d'envahir sa vie réelle. Un bon lecteur ou un bon spectateur doit être nécessairement perméable aux émotions que lui procure une fiction écrite ou audiovisuelle. Il doit être capable d'empathie. Pour qu'il puisse transmettre lui-même de l'émotion en écrivant, il faut qu'il en fasse l'expérience. En lisant tout le temps et toujours et en voyant des films, il enrichit son émotionnel et par conséquent, sa partie créative. Ces personnages et ces évènements de la fiction deviennent une ressource et une source d'inspiration. «La création, disait Hal Hartley, cinéaste, consiste à voler ce que tu aimes chez les autres. Tu prends ce qui te plaît, tu y ajoutes de ton imaginaire et de ton savoir- faire, cela devient «tien», cela devient personnel…» Souad Ben Slimane *Marie-France Briselance dans «Ecriture, mode d'emploi» revue Synopsis apprend à se dissocier du rôle de l'auteur pour être dans celui du spectateur ou du critique. En sachant se «positionner» pendant le processus de création, il a le feed-back ou le retour d'information sur ce qu'il écrit. D'ailleurs, il est forcément le premier lecteur de son propre roman ou de son propre scénario, autrement dit, le premier spectateur de son œuvre.