L'ex-premier ministre, Nouri Al-Maliki, un des grands perdants BAGADAD — Le gouvernement irakien a approuvé, hier, des réformes majeures proposées par le Premier ministre Haider Al-Abadi, dont la suppression du poste du grand rival Nouri al-Maliki, après une vague de protestations contre la corruption et le délabrement des services publics. Mais ces réformes, dont certaines doivent normalement faire l'objet d'un amendement constitutionnel, devront être encore soumises à l'approbation du Parlement, où la bataille risque d'être dure, avant leur mise en application. «Le gouvernement a approuvé à l'unanimité, lors d'une session extraordinaire, le premier plan de réformes présenté par M. Abadi», a précisé un communiqué officiel quelques heures après l'annonce des réformes par le Premier ministre. Parmi elles, la plus drastique est la suppression «immédiate» des postes des trois vice-Premiers ministres et trois vice-présidents, dont un détenu par M. Maliki, le prédécesseur de M. Abadi dont les deux mandats (2006 à 2014) ont été entachés d'accusations de corruption, de monopole du pouvoir et d'aliénation de la minorité sunnite. Une telle mesure ouvrirait la voie à un conflit entre les deux hommes, membres du même parti chiite « Dawa », au sein duquel l'ex-Premier ministre a encore beaucoup d'influence. M. Maliki avait apporté son soutien, samedi, à la volonté de réforme de M. Abadi. Une autre réforme prévoit une révision de la façon dont les responsables sont nommés, dans un pays où les communautés ethniques et religieuses jouent un rôle majeur dans l'attribution des responsabilités. «Les quotas de partis et de confessions» doivent être supprimés, selon M. Abadi, proposant que les candidats aux postes à haute responsabilité soient sélectionnés selon «leurs compétences, honnêteté et expérience» par un comité désigné par le Premier ministre. Un chemin périlleux En Irak, où la communauté chiite est majoritaire, le chef de l'Etat est un Kurde, le Premier ministre est un chiite et le chef du Parlement un sunnite, en vertu d'un accord tacite. Ces développements surviennent après plusieurs grandes manifestations contre la corruption et l'incompétence de la classe politique, sur fond de coupures quotidiennes de l'électricité sous une chaleur accablante où les températures dépassent régulièrement les 50° Celsius. La plus haute autorité chiite d'Irak, l'ayatollah Ali al-Sistani, a ajouté à la pression, vendredi, en appelant M. Abadi à «être plus courageux et plus audacieux» dans la lutte contre la corruption et à dénoncer publiquement les politiciens hostiles aux réformes. Mais en dépit de ces fortes pressions, la corruption instituée en Irak, dont bénéficient les partis politiques depuis de nombreuses années, sera un obstacle difficile à surmonter. De surcroît, le pays est miné par les dissensions confessionnelles entre musulmans chiites et sunnites qui ont provoqué un conflit particulièrement sanglant en 2006-2007. En décembre 2011 déjà, au moment du retrait des troupes américaines d'Irak après huit ans de présence, les experts mettaient en garde contre l'attribution des fonctions publiques selon la confession de chacun. Une voie périlleuse pour l'Irak, où pendant les décennies de règne du sunnite Saddam Hussein, chiites et kurdes ont été opprimés, ce qui a nourri un ressentiment qui perdure encore aujourd'hui, neuf ans après la mort du dictateur. Corrompu, décrépite, inadapté Ces rancœurs ont été mises à profit par le groupe jihadiste sunnite Etat islamique (EI) pour prendre de vastes régions du pays, en juin 2014, s'appuyant sur une communauté sunnite qui s'estime aujourd'hui marginalisée par le pouvoir chiite. Parmi les réformes proposées, figure aussi celle d'une «réduction immédiate et globale» du nombre de gardes du corps. Un problème récurrent en Irak, où des officiels ont de véritables escouades de protection, et d'autres en embauchent moins que permis, et empochent la différence de salaire. La suppression des «provisions spéciales» allouées aux hauts responsables, en poste ou à la retraite, est également prévue. Les hauts salaires, les voitures de fonction et les très généreuses retraites des hauts fonctionnaires ont été conspués par les manifestants irakiens, alors que les finances du pays sont sévèrement touchées par la chute des prix du pétrole et les dépenses militaires. Plusieurs dossiers de corruption, anciens ou récents, seront en outre rouverts, sous la supervision d'une commission dédiée, en vertu des réformes. «Le système est corrompu jusqu'à la moelle. La Constitution est décrépite, le cadre législatif est inadapté et la classe politique totalement corrompue et incompétente», fustige Zaid al-Ali, constitutionnaliste et auteur de «La lutte pour le futur de l'Irak». Pour cet expert, «tous les partis politiques profitent directement du système en place, c'est pour ça que rien n'a changé depuis 2005».