«La route des consuls»,nouvel ouvrage de Adnen Ghali, est la longue et fascinante histoire, méconnue de la diplomatie tunisienne. Une diplomatie qui a plusieurs siècles d'âge, et dont nous avons toutes les raisons de nous enorgueillir. «Un bâtisseur est un philosophe. Un urbaniste est porteur d'un projet : celui d'une société idéale. Quand on travaille sur une ville, on travaille sur la politique de la ville. On peut prévoir l'avenir en possédant le passé». Partant d'un tel constat, Adnen Ghali explique ainsi sa double formation : Architecture et Sciences Politiques. Et quand ce brillant jeune homme affirme que les sciences politiques offrent justement une clé de lecture pour l'architecture et l'urbanisme, cela semble découler de l'évidence. Ce qui l'est moins, et que l'on s'avoue curieux de découvrir, c'est son intérêt pour les consuls de Tunisie. Intérêt qui l'a poussé à en faire un livre, livre passionnant de surcroît, bourré d'informations inédites, d'anecdotes, de secrets de diplomates, mais aussi de bien belles histoires. «La route des consuls» raconte, en fait, la longue et fascinante histoire, méconnue il est vrai, de la diplomatie tunisienne. Une diplomatie qui a plusieurs siècles d'âge, et dont nous avons toutes les raisons de nous enorgueillir. C'est par sa fascination pour ce que l'on appelait « le quartier franc », ce quartier où se trouvaient justement presque tous les consulats, que Adnen Ghali est venu à s'intéresser à cette histoire. «Mon père m'y emmenait quand j'étais petit. Et j'y entrai comme dans un autre monde, fasciné par les ruelles, les façades, l'ornementation des bâtisses, les personnages qu'on y rencontrait. L'épicier italien, le cocher maltais, ma marraine génoise, à la belle voix italienne, vivant dans une grande demeure aux meubles baroques, aux miroirs gigantesques, qui m'offrait des biscuits dans de jolies boîtes de métal décoré. La Tunisie, aujourd'hui, s'appauvrit en présence étrangère, et cela est dommage car on ne peut pas vivre sans les autres. On se construit avec les autres, par rapport aux autres.... » Ces incursions dans ce quartier lui ont donné très tôt le goût de l'architecture. Zoubeir Mohli, prix Aga Khan de l'architecture, l'accueillit pour un stage à l'ASM qui conforta définitivement sa vocation : il s'agissait de la restauration de Jemâa Ezzitouna, une expérience dont on ne sort pas indemne, et une collaboration au cours de laquelle il découvrit une dimension très rare : le sens de la transmission du savoir. Il travailla ensuite sur les caravansérails, ces fameux fondouks dont certains remontent au XVIe siècle. Puis se passionna pour les consulats, ces bâtiments qui arborèrent les blasons et les armoiries de pays dont certains n'existent plus, tels le royaume de Naples, le grand duché de Toscane, ou le royaume de Sardaigne. Dans son travail de recensement, Adnen Ghali repère dix-huit consulats, outre ceux qu'il ne parvient pas à situer. Le plus ancien étant le consulat français qui remonte à 1660, sous François 1er, de même que le consulat anglais. Au XIXe siècle apparaîtront une floraison de consulats de petits Etats de création récente tels que Monaco, le Brésil, l'Argentine, le Mexique... J'ai construit mon livre par époques : - Le Moyen-Age, dont on n'a pas de trace physique, mais dont on sait que le consulat de Pise date de 1157, ce qui donne à la Tunisie 850 ans d'Histoire diplomatique. - L'Epoque ottomane, au cours de laquelle les consulats obtiennent le droit de s'installer intra muros dans la médina, ce qui est un nouveau privilège. - Le Protectorat Français qui voit la fin des tribunaux consulaires, et donc l'affaiblissement de la présence consulaire Mais Adnen Ghali ne se contente pas d'évoquer des dates et des lieux. Il donne de la densité à son ouvrage en narrant la vie de ces consuls dont certains ont marqué l'Histoire. Il évoque leur personnalité, leurs liens familiaux, leurs convictions personnelles, leurs affinités avec le pays, certains étant si sensibles à la culture tunisienne qu'on les accusait d'être devenus «des Orientaux». Il raconte l'histoire du consul du Danemark, Christian Falbe, brillant officier de marine qui servit sous Napoléon, et qui, passionné d'archéologie, réunit une magnifique collection de monnaies aujourd'hui exposée au musée de Copenhague. C'est également à lui que l'on doit un plan précis de la côte et de la ville de Tunis, intitulé «le plan Falbe» et daté de 1832 ; il raconte aussi celle du consul Holsen qui se retrouve dans notre pays pour une histoire d'amour malheureuse. Ou encore celle du consul Von Holke, marin danois émérite, qui deviendra conseiller militaire de Hamouda Pacha. Ainsi que celle du consul américain John Payne, qui composa la chanson la plus célèbre des Usa, «Home, Sweet Home», et qui fut cependant enterré en Tunisie. Et la plus drôle peut-être, celle du consul Nyssen, consul de Hollande, et de Russie, qui, se retrouve, par un jeu d'alliances, lors de la guerre de Crimée, contraint de déclarer les hostilités à la Tunisie alors sous l'Empire ottoman. Se rendant en grande tenue au palais beylical, devant tous les diplomates réunis, il déclare donc la guerre à Sadok Bey, par ailleurs son meilleur ami, et compagnon de fêtes. Puis, après les formalités d'usage, et dans un arabe parfait, il ajoute : «Sidna, aâmlou finna hal quazi» Aujourd'hui, certains de ces immeubles sont en mauvais état, quelques-uns menacent ruine. Mais tout le quartier est encore récupérable. Des initiatives de restauration ont déjà été engagées : en face de l'ancien bagne de Sainte Croix que l'Italie a entrepris de restaurer, la mairie et l'ASM entreprennent de réhabiliter l'ancien consulat du Danemark pour en faire le futur arrondissement municipal de la médina. Mais par contre le consulat et le fondouk des Français sont squattés, et dans un état de détérioration avancé. Tout comme le consulat d'Italie qui a été l'ancien conservatoire et le théâtre de marionnettes. Un des plus beaux bâtiments, le consulat de Prusse, magnifique édifice, à l'architecture complexe, tout en portes secrètes, peut encore être sauvé, tout comme d'ailleurs l'hôtel particulier des Nyssen, consul de Hollande. D'autres ont plus ou moins été préservés parce que encore exploités. Adnen Ghali fait un état des lieux, méthodique, scientifique, mais remarquablement étoffé d'histoires vivantes, d'illustrations inédites, qui vous feront lire ce livre comme un roman