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Une révolution empêchée
L'écritoire philosophique
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 10 - 2015


Par Raouf Seddik
On doit au philosophe marocain Mohamed Abed al-Jabri, décédé en 2010, une analyse assez approfondie des causes qui ont amené ce qu'il appelle la «raison démonstrative» à connaître un sort si peu enviable dans l'histoire de la pensée arabe. On la trouve dans son ouvrage principal, intitulé Critique de la raison arabe, et que beaucoup gagneraient à connaître, en dépit du travail de sape du syrien Georges Tarabichi... Travail de sape dont le caractère étonnamment systématique et insistant finit par susciter des questions sur la nature de ses motivations, beaucoup plus que sur les faiblesses supposées de l'œuvre du Marocain.
Al-Jabri souligne l'importance du facteur politique dans l'évolution historique de la raison. De son point de vue, l'approche qui consiste à essayer de comprendre cette évolution à partir des seules données relatives au débat intellectuel entre penseurs manque de pertinence. Et c'est vrai que les philosophes ont souvent tendance à minorer l'importance du facteur politique dans leur approche de l'histoire de la philosophie. Le procès de Socrate n'est-il pas un événement politique ? Et n'est-il pas clair que son incidence sur le devenir de la philosophie a été énorme ? On peut, par ailleurs, se demander ce qu'aurait été aujourd'hui la philosophie en Occident si l'averroïsme, au XIIIe siècle, ne s'était pas imposé grâce à... l'université, c'est-à-dire à l'organisation des enseignants-philosophes en corporations, donc en une forme de structures politiques capables de faire bloc pour s'opposer à des décisions défavorables et faire valoir leurs propres usages. L'historien français Jacques Legoff nous a laissé des développements très instructifs sur cette question dans son livre «Les intellectuels au Moyen-âge»...
L'exemple de l'averroïsme nous intéresse à un double titre. D'abord, parce qu'il marque un nouveau départ de l'activité philosophique en Occident, alors même qu'il s'appuie sur le travail accompli par un philosophe arabe et, ensuite, parce que ce même travail marque à l'inverse la fin d'une aventure à l'intérieur du monde arabe. Bien sûr, il en est qui ne sont pas d'accord pour dire que l'aventure philosophique s'arrête pour les Arabes avec Averroès, avec Abou'l Walid Ibn Rochd. Le Tunisien Abou Yaarib Al-Marzouki rappellerait volontiers les deux figures de Ibn Taymiyya et de Ibn Khaldoun, postérieures à celle de notre philosophe andalou et en qui il reconnaît des étapes décisives. Le spécialiste français de la philosophie islamique, Henry Corbin, avait coutume d'affirmer, de son côté, que la mort d'Averroès, loin d'être une fin, marque au contraire l'essor véritable de la philosophie musulmane, avec des noms comme Ibn Arabi mais surtout Sohravardi, Molla Sadra Shirazi et d'autres... Il faut cependant noter que Henry Corbin appartient à une génération de penseurs post-nietzschéens qui conçoivent la vocation de la réflexion philosophique dans une sorte de rupture avec l'autorité de la Raison. Pour lui, la «théosophie iranienne» représente un horizon prometteur et on ne s'explique cette attirance que si on se souvient qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y a une sorte de défiance, non seulement de l'Occident, mais aussi de la pensée philosophique à la faveur de laquelle l'Occident est devenu ce monstre de domination et d'assujettissement des hommes et de la nature que nous avons connu... Le point de vue d'un penseur arabe comme Mohamed Abed el-Jabri ne saurait être le même. Et, pour notre part, nous ne pouvons que le suivre dans son affirmation que quelque chose de décisif se joue lorsque, avec Ibn Rochd, la Raison parvient à conquérir son autonomie et que, tout aussitôt, elle subit l'attaque d'une censure théologico-politique. Que cette attaque intervienne d'ailleurs en une seule fois contre la pensée averroïste ou qu'elle s'étale dans le temps en visant des penseurs qui sont venus quelque temps après, porteurs de la même audace, le problème reste le même: une insurrection est empêchée.
On sait qu'à travers l'averroïsme latin, Ibn Rochd est en quelque sorte le fondateur de la scolastique européenne, avec l'importance centrale qu'elle accorde à la philosophie d'Aristote. On sait aussi que, bien plus tard, un René Descartes s'insurgera contre cette scolastique et contre son «argument d'autorité» qui faisait d'Aristote le maître face à qui il fallait s'incliner... Galilée avait montré le chemin sur le terrain de l'astronomie, le jeune Descartes a suivi sur celui de la philosophie. D'où son doute radical pour reconquérir la certitude dans les connaissances scientifiques.
Or, le prisme cartésien à travers lequel sera observée l'entreprise menée par Averroès empêchera la plupart des philosophes européens d'apprécier à sa juste valeur ce que l'aristotélisme du penseur arabe avait de hardi. D'antiscolastique en un sens ! Le problème, en réalité, ne vient pas que du «prisme cartésien»: il vient aussi d'une totale méconnaissance du contexte philosophique dans lequel s'inscrit Ibn Rochd. Et que Al-Jabri a le mérite de rendre intelligible. De rendre intelligible en expliquant en particulier que la philosophie arabe d'Orient, celle de Farabi, d'Avicenne ou de Ghazali, fait usage de la raison démonstrative héritée d'Aristote, mais qu'elle le fait en la mêlant de plus en plus à d'autres modes de connaissance, à savoir l'indication (laquelle s'appuie sur la référence des textes sacrés) et l'illumination (qui puise la vérité de l'intérieur de l'âme humaine).
Grâce, paradoxalement, à un climat de méfiance qui prévaut en Andalousie vis-à-vis de ces «innovations blâmables», à un attachement plus strict à l'orthodoxie malékite, cette tendance fâcheuse à l'amalgame des modes de connaissance ne pourra pas se développer dans la partie occidentale du monde musulman. Au contraire même, elle sera dénoncée et critiquée par des auteurs comme Ibn Hazm et El-Shatibi. La raison démonstrative, de son côté, va pouvoir prospérer tranquillement loin des questions qui fâchent, du côté des mathématiques et de la logique... Jusqu'au coup d'éclat ou au coup d'Etat philosophique d'Ibn Rochd, qui réintroduit la raison démonstrative en philosophie, dans toute l'étendue de sa rigueur et de son autorité. Bien qu'avec le soutien de la figure d'Aristote.
Pourquoi cette révolution ne réussit-elle pas ? Sans doute parce que, à la différence de ce qui existe en Europe, la communauté intellectuelle en terre d'Islam vit de telle sorte qu'elle n'est pas en mesure d'opposer à la censure le rempart solide d'une corporation universitaire. C'est également parce que le dogme religieux n'est pas familiarisé avec l'idée d'un partage du pouvoir — partage avec la Raison —, et que l'alliance entre le politique et le religieux ne cesse d'écarter cette option au fil des crises sociales durant les siècles qui suivent la mort d'Ibn Rochd. Mais aussi, tout simplement, parce que l'étendard de cette révolution attend toujours d'être ramassé et brandi, en vue d'une histoire nouvelle. Cet acte suppose toutefois qu'on sache désormais mettre de côté les considérations historiques pour laisser seul l'écho de la raison philosophique résonner à nouveau dans notre ciel. Car c'est ainsi que cette raison s'approprie son territoire : dans la parole retrouvée des philosophes et dans leur dialogue affranchi !


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