Par Ilia TAKTAK KALLEL (enseignante-chercheure à l'ESC - Université de La Manouba) Un récent et très sérieux sondage effectué auprès des moins de 30 ans en France et traitant de la vision que les jeunes ont de l'entreprise et de la création d'entreprise, révèle notamment que la moitié des jeunes déclare vouloir créer une entreprise un jour (dont 13 % prévoient de passer à l'action dans les prochaines années) ; que les motivations de ces jeunes pour la création se situent essentiellement dans leur réalisation et leur bien-être personnel (être indépendant, s'épanouir, réaliser un rêve et/ ou un défi); que les principales qualités associées au chef d'entreprise sont celles de savoir commander et diriger une équipe, être organisé et ne pas se laisser déborder, avoir de l'audace et oser les choses et que nombre de ces jeunes ont déjà «côtoyé» l'entrepreneuriat (suivi de programmes d'enseignement/ sensibilisation à la création d'entreprise; proximité des milieux entrepreneuriaux; expériences associatives). A n'en pas douter, ces résultats ont un air de déjà-vu, que ce soit dans les recherches portant sur les intentions entrepreneuriales, ou spécifiquement dans les éclairages tirés d'enquêtes effectuées auprès de jeunes Tunisiens sur cette thématique. Plus surprenant encore, une recherche académique comparative menée il y a quelques années et portant sur les intentions entrepreneuriales d'étudiants tunisiens, français et canadiens, donne nos jeunes comme étant les plus porteurs d'intentions entrepreneuriales ! Il y a alors — à notre sens — de quoi se poser des questions à partir de ces constats : depuis une trentaine d'années, les recherches sur les intentions entrepreneuriales des jeunes dans différents contextes socioculturels font ressortir invariablement les mêmes tendances: les jeunes sont incontestablement «attirés» par la création d'entreprise. Pourtant, les études longitudinales et le suivi dans le temps de ceux-là mêmes qui ont montré de bonnes prédispositions à l'égard de l'entrepreneuriat passent rarement à l'acte : frilosité, absence de confiance en soi et en ses capacités à réussir l'aventure entrepreneuriale et problèmes de financement figurent souvent parmi les principales raisons invoquées en ce qui concerne ce décalage entre les intentions et les comportements. Vraisemblablement, la construction de la connaissance dans ce domaine semble être dans une impasse : ce sentier de recherche est-il épuisé ? Ou les chercheurs et praticiens en la matière sont-ils en train de poser les mauvaises questions aux jeunes dont ils voudraient sonder les attitudes et intentions entrepreneuriales (des questions parfois tendancieuses et qui appellent les réponses que l'on voudrait bien entendre pour étayer et conforter les théories établies) ? Ne faudrait-il pas passer à autre chose pour cerner de façon plus pertinente et réaliste les prédispositions des jeunes à l'égard de l'activité entrepreneuriale ? Ne convient-il pas aujourd'hui de mieux faire parler la réalité et les vécus pour mieux les entendre ? Ecouter les ambitions, les rêves, les quêtes, les besoins, les projets de vie, mais également les malaises et les soucis de ces jeunes peut être une voie prometteuse. Comprendre comment et dans quel sens chaque matrice de socialisation de ces jeunes influence leurs perceptions et attitudes vis-à-vis de leurs projets professionnels (dont — éventuellement — la carrière entrepreneuriale) en est une autre, complémentaire. Cerner les schémas mentaux et cognitifs et les raisonnements qu'ils développent vis-à-vis de l'activité entrepreneuriale (notamment à travers l'élaboration de cartes cognitives), en est une troisième, et non des moindres. Et ce ne sont là que des pistes sérieuses mais non exhaustives ! Il semblerait donc qu'une compréhension fine des dispositions actuelles des jeunes à l'égard de l'initiative et de l'entrepreneuriat ne puisse plus faire l'économie d'approches qualitatives privilégiant l'exploration et la compréhension de la réalité dans toute sa complexité, plutôt que la confirmation à l'infini d'intuitions, certes solidement étayées par la théorie, mais peu opératoires dans la pratique.