Par Ilia TAKTAK KALLEL (Enseignante-chercheure à l'ESC Tunis-Université de La Manouba) La célébration de l'Année internationale de la jeunesse apporte avec elle un lot de mesures et de dispositions institutionnelles et réglementaires, et remet à l'ordre du jour bon nombre d'interrogations et de débats touchant de près ou de loin les jeunes. Il en est ainsi de l'éducation, problématique d'hier, d'aujourd'hui et de demain, et donc, chantier permanent dont on réalise parfaitement tous les enjeux au vu des défis que s'est fixés notre pays. Depuis une dizaine d'années, l'inculcation d'une culture entrepreneuriale aux jeunes est au cœur des enjeux éducatifs et, en dépit des gros progrès que la Tunisie a enregistré en la matière, il est toujours de bon aloi d'observer ce qui se passe dans le monde et de prendre ce qu'il y a de meilleur et de transposable dans les expériences qui ont lieu sous d'autres cieux. En l'occurrence, nous allons évoquer une expérience canadienne très réussie concernant la culture entrepreneuriale et l'éducation : l'Ecole communautaire entrepreneuriale (ECE). Il s'agit d'une approche pédagogique et éducative intégrée qui permet l'acquisition simultanée des connaissances en lien avec les matières académiques de base de même que le développement de qualités et habiletés entrepreneuriales, souvent dans un contexte de décloisonnement des matières. Cette approche ouvre aux jeunes de nouveaux horizons, dont la possibilité d'apprendre à créer à l'école. Mais cette «nouvelle» école a de plus hautes ambitions, dont notamment celle d'élever les consciences de chacun – enfants, enseignants, parents, partenaires communautaires – vis-à-vis de l'impact de leur mode d'entrepreneuriat sur soi, les autres, la société, la nature, la planète et la vie sous toutes ses formes. Cette nouvelle architecture-école met l'accent sur la synergie école-communauté au profit d'une éducation dite «à valeur ajoutée». Cette conviction donne lieu, depuis 2005, à la mise en œuvre progressive du concept de l'ECE, par quelques dizaines d'écoles dans plusieurs provinces canadiennes. Donc, plus que d'apprendre davantage, cette conception de l'école permet d'apprendre différemment. Cette expérience est née progressivement à partir de 1999, donnant lieu à partir des années scolaires suivantes à de véritables projets entrepreneuriaux. En fait, ce que vivent concrètement les jeunes, une Ecole communautaire ou «micro-entreprise pédagogique», emprunte beaucoup à la culture organisationnelle présente dans une entreprise et aux sous-cultures qui y prennent vie. Chaque élève est censé développer un certain profil de jeune entreprenant ou entrepreneur à l'intérieur de la micro-entreprise. Il dispose d'une certaine marge de manœuvre résultant des choix qu'il est amené à faire selon les tâches et les responsabilités qu'il a à assumer au sein de la micro-entreprise. Cela implique concrètement la prise en charge effective par les jeunes de leur apprentissage et un apprentissage de la «vraie vie». Ce modèle rappelle beaucoup l'approche auto-constructiviste et socio-constructiviste de l'apprentissage; une espèce d'école Freinet mais spécifiquement tournée vers des qualités et habiletés jugés indispensables à acquérir. Dans ce cadre, faire rêver l'enfant, l'accompagner dans le développement de son auto-prise en charge et élever sa conscience constituent pour l'éducateur des défis pédagogiques et éducatifs d'envergure. L'approche ambitionne également de faire face au fléau du décrochage scolaire et de favoriser l'égalité des chances. Eduquer à l'entrepreneuriat conscient, c'est de plus préparer les jeunes à contribuer à un monde plus juste et plus viable économiquement et écologiquement. L'Ecole communautaire entrepreneuriale est une expérience d'éducation entrepreneuriale qui commence dès le plus bas âge du primaire (5 à 12 ans). Elle vise le développement, chez tous les enfants de l'école, d'une culture entrepreneuriale consciente. Une fois intériorisée, cette culture se manifestera par un degré élevé d'initiative, d'autonomie, d'ingéniosité, de créativité, d'innovation et d'engagement communautaire et écologique. Imprégnées d'une telle culture, ces personnes deviennent plus aptes à contribuer à l'essor socioéconomique de leur région et de leur pays. L'Ecole communautaire entrepreneuriale s'est développée graduellement au cours des 20 dernières années au Canada. Cautionnée par l'Unesco, elle est en train d'être étendue à d'autres pays. L'ECE est sous-tendue par une vision selon laquelle chaque enfant devrait être heureux de venir apprendre et entreprendre à l'école, le tout au service de sa santé globale (développement équilibré des dimensions physique, affective, mentale, créative, sociale, économique, morale, culturelle, écologique et spirituelle) et incidemment, celle des familles, des partenaires et des communautés. De façon complémentaire aux exigences prévues dans les programmes d'études existants, l'entrepreneuriat «conscient» réfère aux cibles éducatives explicitement visées, à savoir des compétences (se prendre en charge; entreprendre; créer l'innovation de façon consciente, responsable et autonome), des attitudes (fierté identitaire et culturelle, recherche constante d'innovation et engagement communautaire), des qualités (confiance en soi, leadership, humanisme, solidarité, respect des autres, esprit d'équipe, créativité et initiative, sens de l'organisation et des responsabilités, apprentissage autonome) et des rôles (être initiateur, réalisateur et gestionnaire de projets). Ce modèle éducatif tourne autour d'un certain nombre d'axes stratégiques et composantes structurantes, tout en étant assez flexible pour admettre la possibilité d'ajouter de nouvelles composantes structurantes en fonction des finalités poursuivies dans certains modèles d'écoles communautaires entrepreneuriales et selon les besoins inhérents au contexte culturel. Les principaux axes stratégiques de l'ECE sont l'accent mis sur les assises culturelles spécifiques à la communauté; une approche pédagogique appropriée et novatrice en entrepreneuriat ainsi qu'un accent mis sur les technologies de l'information et de la communication (TIC); un apprentissage de qualité basé sur un système de suivi en continu des progrès de chaque enfant; une attention particulière portée à la santé globale de l'enfant; un partenariat effectif école-famille-communauté visant un réel partage de la responsabilité éducative; la reconnaissance, la valorisation et la célébration des apprentissages acquis et des succès et, enfin, un leadership mobilisateur et partagé, ainsi qu'un étroit suivi des progrès de l'école. Tout compte fait, on pourrait considérer que ce modèle éducatif constitue l'idéal, l'«archétype» vers lequel tend notre propre modèle éducatif, même si les priorités ne sont pas encore également mises toutes sur un pied d'égalité. Le mot d'ordre dans ce modèle est également celui d'une forte et pertinente implication de la famille et de la communauté. Pour la première, cela peut signifier apprendre à aimer et à accompagner autrement son enfant dans ses apprentissages de la vie; pour la deuxième, cela voudrait dire ne plus se décharger sur l'école ou s'en détourner dans la mesure où elle constitue le vivier d'où émergeront les futures générations, c'est-à-dire nos propres enfants, leurs futures fréquentations, les futurs salariés, responsables, acteurs, décideurs et citoyens de demain.