Par Ilia TAKTAK KALLEL, Enseignante-chercheure à l'ESC Tunis (Université de La Manouba) Les modules d'enseignement de l'entrepreneuriat sont arrivés en force à l'université ces dernières années, changeant, voire révolutionnant, les méthodes et approches pédagogiques classiques, au risque parfois de désappointer certains enseignants et étudiants, habitués aux cours magistraux et aux approches unilatérales de transmission du savoir. Pour s'en accommoder, les stratégies des enseignants à l'égard de ces nouveaux enseignements sont diverses : scepticisme chez ceux qui considèrent que l'université est — et doit rester — l'antre du Savoir ; essai de faire rentrer ces modules dans le «moule» de ce que l'on considère comme «un enseignement universitaire qui se respecte», ce qui signifie, pour la plupart, un enseignement normatif et voulant transmettre une Vérité. Mais l'enseignement de l'entrepreneuriat est l'un des (rares) enseignements qui a le mérite de faire bouger l'université avec ses différents corps, d'ébranler les certitudes et d'encourager à la réflexivité critique. Du moins, est-il censé avoir ce mérite, à moins d'être nostalgique d'une université passéiste ! Car en entrepreneuriat, il n'y a pas une vérité, mais des vérités (des parcours singuliers d'entrepreneurs ; des facteurs contingents de différentes natures pouvant, d'un contexte à l'autre, encourager ou inhiber l'entrepreneuriat). Et cette vérité-là s'impose avec le temps à l'enseignant qui ne veut pas être en contradiction avec lui-même et avec les faits. L'enseignant est donc poussé dans ses retranchements et ne peut plus jouer la carte de la neutralité (qui peut être parfois — également — une posture de facilité). Il va privilégier dans ses approches — de façon consciente ou non — le développement personnel/ professionnel des apprenants ou le développement des projets, et c'est déjà une posture (concilier les deux approches relève souvent de l'acrobatie !). En l'occurrence, s'il décide de miser sur ce qu'on appelle les «pédagogies actives» (mises en situation, pédagogies de projets…) largement reconnues pour être particulièrement appropriées pour le développement de compétences entrepreneuriales (renforcement du sentiment de compétence des apprenants vis-à-vis du comportement entrepreneurial en les confrontant à des situations problématiques vraisemblables, c'est-à-dire assez complexes et dont les solutions ne sont pas forcément définies a priori), il s'agit là d'une posture annoncée et qui prête à conséquences. En effet, les pédagogies actives sont sous-tendues par une conception auto-constructiviste et socio-constructiviste de l'apprentissage : on apprend avec soi-même, à son propre rythme et en référence à ce que l'on a déjà appris, mais également dans l'interaction avec les autres, et le plus précieux des apprentissages réside dans le développement de la capacité de transposer les apprentissages faits dans une situation, à d'autres situations (méta-apprentissage). La question qui se pose est alors de savoir si les enseignants qui préconisent ces méthodes pédagogiques parce qu'ils sont convaincus de leurs bienfaits, peuvent les soutenir dans leur intégralité, de bout en bout. Notamment, en ce qui concerne l'évaluation des acquis (méthodes et objets de l'évaluation), il faut admettre dans cette perspective que les compétences développées sont forcément différenciées suivant les expériences personnelles et les rythmes d'apprentissage des uns et des autres. Mais plus important encore, c'est le rôle même que l'enseignant doit jouer dans ce processus d'apprentissage qui doit être questionné. Car de dispensateur de vérités, il devient facilitateur, accompagnateur des apprenants dans leur processus d'apprentissage. L'image du professeur sur son piédestal du savoir en prend un coup ! Et il n'est pas sûr que l'enseignant puisse assumer ce nouveau rôle si, par ailleurs, la norme sociale dominant à l'université continue à vouloir que l'enseignant «crédible» soit celui par qui arrive le savoir et l'autorité. Or, si ce nouveau rôle de l'enseignant n'est pas assumé jusqu'au bout et avec cohérence, les nouvelles approches et méthodes pédagogiques ne seront qu'un simulacre d'elles-mêmes. Il y a même le risque que les apprenants soient tiraillés entre les tenants de la vieille école qui restent — malgré tout — cohérents avec eux-mêmes et les enseignants «révolutionnaires» qui ne vont pas jusqu'au bout de leurs démarches, au risque de faire peser un sentiment d'échec aux apprenants qui auront quand même joué le jeu!