Bien qu'il ait nié l'éventualité d'un remaniement, la démission de Lazhar Akremi et le limogeage de Mohamed Salah Ben Aïssa vont, certainement, amener le chef du gouvernement à revoir sa copie actuelle et imposer une nouvelle ligne de conduite à ses ministres. C'est une question de temps L'ancien ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aïssa, l'a appris à ses dépens, «un ministre, ça ferme sa gueule, si ça veut l'ouvrir, ça démissionne». Cette maxime devenue célèbre, prononcée un jour par l'ancien ministre français Jean-Pierre Chevènement qui, alors ministre de l'Industrie en 1983, l'avait tenue au président François Mitterrand avant de démissionner de ses fonctions. Ben Aïssa qui a été convoqué par le chef du gouvernement, Habib Essid, ne s'attendait pas à ce qu'il soit aussi promptement débarqué. S'il s'est époumoné à expliquer, sur plusieurs plateaux et dans la presse écrite, les raisons de son limogeage par une incompatibilité de vues avec son chef hiérarchique à propos du projet de loi organique relatif au Conseil supérieur de la magistrature qui, selon lui, a été dénaturé de son sens et que, par conséquent, il ne pouvait pas le défendre devant l'Assemblée des représentants du peuple, il devrait se rendre à l'évidence que la solidarité gouvernementale et la discipline de l'équipe sont des principes intangibles. Son départ était déjà dans l'air, à cause d'une accumulation de «gaffes» et son refus d'assister à la séance plénière a été «la goutte qui a fait déborder le vase». Sans aller loin dans les conjectures, il ne suffit pas de se faire prévaloir de diplômes pour devenir un bon gestionnaire. On ne s'improvise pas ministre, même si on est un excellent théoricien. Un message clair à tous les membres du gouvernement Se distinguer par un certain franc parler en donnant son avis sur des sujets sensibles, critiquer fût-il en des mots doux, des mesures prises par le gouvernement ou encore, pendre des initiatives et des engagements sans se référer au chef du gouvernement, serait synonyme de manquement à l'obligation de réserve et au devoir de solidarité. Dans la plupart des démocraties, les membres du gouvernement doivent signer, avant leur prise de fonctions, «une charte de déontologie» qui rappelle «le principe politique cardinal de la solidarité gouvernementale, sous l'autorité et selon les arbitrages du Premier ministre, et le principe de confidentialité des délibérations gouvernementales, qui en est le corollaire naturel». Ils doivent s'y conformer sous peine d'être révoqués. Un manquement isolé peut, à lui seul, suffire à entamer l'image de l'équipe. Or, certains membres de l'actuel gouvernement n'ont pas eu de précédentes expériences en matière de gestion et pèchent par un manque de culture de gouvernement et de sens de l'Etat. Assez souvent, ils donnent leurs avis sur des sujets parfois sensibles, ne sachant pas, ou faisant comme si, que leurs déclarations engagent le gouvernement. S'ils ont le droit de s'exprimer, ils doivent le faire dans le respect de la confidentialité. Ce qui n'est pas, malheureusement, le cas pour beaucoup d'entre eux. La rapidité avec laquelle Habib Essid a pris la décision de virer Ben Aïssa, qui était à la tête d'un ministère de souveraineté, et au-delà des raisons qui ont précipité cette décision, contient un message clair et un avertissement à peine voilé adressé aux autres membres de son équipe qu'il n'est plus question de tolérer les écarts ni les manquements au devoir de discipline. Ni encore moins cette propension à s'afficher dans les médias et chercher à se placer dans les sondages. Ces ministres qui sont beaucoup plus soucieux de leur image que de leurs dossiers, ont intérêt à vérifier les freins et à se tenir au carreau... Habib Essid, un haut commis de l'Etat, pur produit de l'administration publique, presque apolitique, est réputé être un grand bosseur et homme de dossiers. Il préfère travailler dans la discrétion, loin des caméras et des médias. Les tiraillements au sein de Nida Tounès plombent le gouvernement et jettent leur ombre sur la scène politique nationale. Alors que la crise frappe de plein fouet l'économie nationale, les menaces terroristes sont toujours vives et les promesses des donateurs étrangers se font encore attendre, le gouvernement s'attelle, malgré tout, à agir pour diminuer l'impact des forces destructrices. Certes, il n'est pas exempt de reproches, mais ce serait injuste que de lui faire assumer tous les problèmes et les tares de la société. Il n'a pas de baguette magique et il est beaucoup plus un partenaire stratégique pour la multitude de partis qu'un adversaire politique. Il a la motivation, le sens du sacrifice, mais il n'est pas à l'abri de l'erreur. Habib Essid a besoin d'une équipe unie Huit mois après l'investiture de son gouvernement et son entrée en fonction, Habib Essid a fixé le cap pour la prochaine étape. Après avoir signé un accord de paix sociale avec l'Ugtt, déblayant ainsi le terrain pour au mois quatre années, il va s'attaquer aux grands chantiers déjà ciblés et initiés. Une série de grands projets ont été adoptés et dont certains ont été entamés. Ils concernent, notamment, la modernisation de l'infrastructure routière, la construction d'une centrale électrique, l'aménagement et l'exploitation du port en eaux profondes et une zone logistique à Enfidha et un tas d'autres projets qui vont améliorer les conditions de vie des citoyens. Le gouvernement va, également, engager de grandes réformes dans les secteurs stratégiques comme celui de l'éducation, de la santé, des caisses sociales, de la police, de la justice... Tout cela nécessite un large soutien au sein de l'Assemblée des représentants du peuple, une adhésion des organisations nationales et un appui des principaux partis politiques. Chose qui peine à se dessiner malgré l'accord tacite entre les deux principaux partis, Nida Tounès et Ennhadha, pour assurer les meilleures conditions possibles pour l'action du gouvernement. Toutefois, Habib Essid a besoin, pour réussir, d'une véritable équipe de choc, restreinte et unie, avec et autour de lui. Une équipe dont les membres allient expérience, sens de l'Etat et du devoir, beaucoup plus soucieux de l'intérêt général que de l'intérêt partisan et qui échappe aux clivages politiques. Bien qu'il ait nié l'éventualité d'un remaniement, la démission de Lazhar Akremi et le limogeage de Mohamed Salah Ben Aïssa vont, certainement, l'amener à revoir sa copie actuelle et imposer une nouvelle ligne de conduite à ses ministres. C'est une question de temps. «L'expression publique des divergences politiques mine le collectif» et ne peut qu'affaiblir le gouvernement et écorner son image auprès de l'ensemble des citoyens. Désormais, la consigne doit être claire, une fois les décisions prises, le principe de la solidarité doit primer. Fin de récréation.