Face à la persistance de la crise frappant le secteur, la Chambre patronale des boulangers se réunira d'urgence, aujourd'hui, au siège de l'Utica, sur fond de... menaces de grève ! Après les slogans «Winou el pétrole» et «Wini eddawla», c'est maintenant au tour du pain d'en avoir le sien. C'est là, en tout cas, l'impression qui se dégage des dernières réactions de nos boulangers, à la suite de la dégradation de la situation dans leur secteur. «Nous avons bel et bien épuisé toutes nos réserves de patience», nous confie M. Mohamed Bouanène, président de la Chambre patronale des boulangers, dépendant de l'Utica. Des propos qui ont tout d'un ras-le-bol, d'un bouillonnement longtemps contenu. Dans un constat tout à fait désolant et alarmant, notre interlocuteur n'hésite pas à évoquer «l'implosion» du secteur qui, à ses dires, «croule encore sous le poids insoutenable d'une grave crise due à la persistance de moult problèmes, dont notamment, la prolifération des boulangeries anarchiques, qui ont émergé au lendemain de la révolution et dont le nombre a atteint, aujourd'hui, le seuil de 1.100 unités exerçant, par-dessus le marché, en toute impunité et au détriment des principes de la concurrence loyale. Et dire que ces "pseudo-boulangeries", qui ne bénéficient pas des avantages de la caisse générale de compensation, échappent étonnamment à tout contrôle de l'Etat, contrairement aux 3.200 boulangeries légales du pays autour desquelles les brigades de contrôle économique et sanitaire continuent de resserrer l'étau». Une politique des deux poids deux mesures que M. Bouanène qualifie «d'injuste» et de «suicidaire» pour avoir mis l'huile sur le feu. «Non seulement, s'indigne-t-il, nous sommes en train de payer cher les frais du développement rampant de ce phénomène, mais aussi nous ne voyons pas le bout du tunnel au sujet de nos autres revendications, pourtant légitimes et élevées, depuis belle lurette, aux services concernés». Ces revendications vont de la stagnation de la marge de gain (sur le chiffre d'affaires) qui n'a pas évolué depuis cinq ans, à la diminution du quota d'approvisionnement en farine qui est passé de dix à sept quintaux. La goutte qui a fait déborder le vase Dans la foulée, nos braves boulangers se sont soulevés comme un seul homme à la suite de la décision de radicalisation prise récemment par l'Etat, en matière de sanctions infligées aux contrevenants. En ce sens que ceux-ci doivent dorénavant payer une amende qui peut aller jusqu'à 10 mille dinars, outre une... peine de prison! «Cette décision est totalement inadmissible», déplore M. Adel Jaâfer, président de la Chambre régionale des boulangers de Tunis qui promet de tout faire pour la casser, car, insiste-t-il, «elle ajoute à notre drame, nous qui subissons déjà un lourd fardeau qui va de la hausse des prix du carburant aux difficultés d'approvisionnement, en passant par l'augmentation galopante du coût de la main-d'œuvre et la persistance de la concurrence déloyale». La solution? Eh bien, c'est simple, selon MM. Bouanène et Jaâfer qui proposent, à l'unisson, une hausse de 60 millimes pour la baguette et une autre de 50 millimes pour le gros pain. Deux propositions qu'ils trouvent honnêtes, voire inévitables, du moins, expliquent-ils, en comparaison avec les prix, autrement plus élevés, appliqués dans les pays arabes, particulièrement en Algérie, au Maroc et en Arabie Saoudite, dont il faut absolument suivre l'exemple pour espérer éradiquer, chez nous, «le phénomène des pains jetés à la poubelle» (pas moins de 850 mille pièces par jour, selon M. Bouanène). Le point de non-retour ? Après ce tour d'horizon tout ce qu'il y a de plus dramatique, il va sans dire que le bras de fer a atteint le point de non-retour. Escalade synonyme de bombe à retardement, quand on sait que les propriétaires des 3.200 boulangeries du pays brandissent déjà la menace d'une grève générale, en jurant de fermer boutique, donc de provoquer des «jours sans pain», si leurs revendications ne venaient pas à être satisfaites. De toute façon, tout sera, en principe, tiré au clair au cours de la réunion de crise qui se tiendra ce matin jeudi au QG de l'Utica où, espérons-le, la bombe sera désamorcée. «Nous ferons tout, absolument tout pour gagner notre bras de fer vital pour le secteur», conclut M. Bouanène («Monsieur Khobz», pour ses camarades). Question de dire que l'Etat a du pain sur la planche...