Salsabil Klibi est enseignante et chercheure à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Elle a évoqué hier, lors de la journée d'étude sur la Cour constitutionnelle, le rôle que peut continuer à jouer le citoyen tunisien pour faire avancer la législation du pays sur la voie des droits et des libertés. Rencontre. Vous avez déclaré dans votre exposé que désormais le citoyen tunisien peut contrôler la constitutionnalité des lois. Dans quelles situations cette procédure sera-t-elle possible ? Grâce à l'instauration du contrôle de constitutionnalité des lois qui sont déjà en vigueur au moyen de ce qu'on appelle « l'exception d'inconstitutionnalité », toute personne se trouvant face à un juge à l'occasion d'un procès quel que soit son objet peut invoquer l'inconstitutionnalité de la loi qui va lui être appliquée. Le juge est alors obligé de porter immédiatement ce recours devant la Cour constitutionnelle. Cette procédure suspend le procès jusqu'au moment où la Cour constitutionnelle rend sa décision, un avis que le juge de fond est tenu de respecter pour rendre son verdict. Selon quelle procédure un justiciable peut-il faire appel aux décisions de la Cour constitutionnelle ? La procédure d'exception d'inconstitutionnalité doit être présentée à travers une requête où on mentionne l'article de la loi contraire à la Constitution. La requête doit nécessairement être adressée au juge. Elle est rédigée par un avocat auprès de la Cour de cassation : ce genre de recours exige de l'expérience, une connaissance étoffée du droit et un sens de la rationalisation. Car il ne s'agit surtout pas d'utiliser ce recours comme une manœuvre dilatoire pour rallonger les délais d'un procès et pervertir un mécanisme susceptible d'appuyer les droits et libertés des Tunisiens. N'y a-t-il pas de risque pour que la Cour constitutionnelle soit inondée de toutes parts par les recours ? Ce risque existe. Les premières années de fonctionnement de la cour s'annoncent difficiles. Elle va probablement être submergée par les demandes. Tout d'abord, parce que beaucoup de lois sont devenues caduques et inconstitutionnelles au vu des nouvelles normes introduites par la loi fondamentale. Ensuite, parce que le citoyen tunisien a pris conscience ces cinq dernières années de toute la portée de ses droits et libertés. Nous allons nous retrouver face à deux choix. Le premier est libéral, il offre le maximum de garanties aux justiciables. Le second est plus limitatif, il va pousser les juges à faire de la rétention au niveau des recours en installant un mécanisme de filtrage des requêtes. Quel pourrait être l'impact de la suspension d'une loi inadaptée aux dispositions de la Constitution ? L'article 5 du projet de loi relatif à la Cour constitutionnelle stipule que les décisions et les avis de la cour sont obligatoires pour tous les pouvoirs publics, y compris les juges. Il s'agit en même temps d'une annulation de cette loi, qui ne dit pas son nom, pour l'avenir. Si par exemple le juge constitutionnel estimait que l'article 230, qui criminalise les pratiques homosexuelles, était contraire à la Constitution, plus aucune personne ne peut après cette décision être poursuivie et jugée pour de tels actes. En attaquant l'inconstitutionnalité de certaines lois en vigueur, les citoyens poussent-ils par la même occasion à la mise en place d'un nouvel ordre législatif plus libéral ? Tout va dépendre de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de sa manière d'interpréter la Constitution. Nous aurons une législation conséquente à une interprétation libérale ou restrictive du texte fondamental par les juges constitutionnels.