déclare Amin Mahfoudh, professeur de droit constitutionnel, à La Presse. Parmi les acquis et points positifs de la nouvelle Constitution: la création d'une instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi dans le but de sauvegarder et protéger les droits et libertés du citoyen. Toutefois, cette instance judiciaire ne peut voir le jour qu'après l'élection et la mise en place du prochain conseil législatif qui sera élu vers la fin de l'année. Et c'est le conseil qui aura pour rôle d'instituer l'instance qui ne pourra être opérationnelle et efficiente que dans deux ans au minimum. Comment, entre-temps, contrôler la constitutionnalité des lois dans cette phase transitionnelle ? Au sein de la commission des consensus les élus ont opté, après un long débat, pour la création d'une instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Maintenant, la question qui s'impose est la suivante : est-ce la meilleure des solutions ? Pour y répondre, nous avons approché le professeur de droit constitutionnel Amin Mahfoudh. Le professeur et avocat près la Cour de cassation ne semble pas approuver et apprécier la création d'une instance provisoire, et ce, pour plusieurs raisons, considérant même cette option comme «dangereuse». Il étaye ici son point de vue : «Après l'entrée en vigueur de la Constitution, soit le 27 janvier 2014, on peut dire que le juge tunisien est tenu de garantir la suprématie du texte constitutionnel. Et ce, sur la base d'un certain nombre de dispositions constitutionnelles. D'abord, selon le préambule, il y a un objectif à valeur constitutionnelle : instaurer un régime démocratique dans lequel la suprématie de la loi est garantie, notamment les libertés fondamentales et les droits de l'Homme. Ensuite, la deuxième disposition, selon l'article 49, prévoit que le juge est tenu de respecter les droits de l'Homme et les libertés, mais c'est l'article 102, selon lequel la justice est indépendante et a pour rôle de garantir la supériorité de la Constitution, qui est déterminant. Or, comme il n'existe ni une cour constitutionnelle ni un comité spécifique, prévu par l'article 148 du Destour, qui concerne la protection de la Constitution, c'est le juge qui garantit la suprématie de la loi. En l'absence, donc, d'un organe ad hoc qui authentifie et préserve la suprématie de la loi, c'est au juge tunisien de jouer ce rôle. Par exemple, si un citoyen s'estime lésé dans ses droits, lors d'une procédure judiciaire, il a le droit de soutenir devant le juge que la loi lui ayant été appliquée est anticonstitutionnelle. Le citoyen a, donc, la possibilité de soulever l'exception d'inconstitutionnalité. Cela en demandant au juge de ne pas appliquer la loi, même si elle a été adoptée par l'Assemblée nationale constituante. L'exception d'inconstitutionnalité permet au système judiciaire de garantir la supériorité de la Constitution en évitant qu'une loi y soit contraire ou non conforme, soit par le non-respect du droit constitutionnel procédural ou le non-respect du droit constitutionnel, donc substantiel. Or, cette instance provisoire ne contrôlera que les projets de loi et interdit, ainsi, au juge de garantir pleinement le contrôle de la constitutionnalité des lois. Voilà pourquoi je suis contre l'instauration de l'instance provisoire constitutionnelle que j'estime périlleuse». Et au Pr Amin Mahfoudh de conclure : «C'est vraiment paradoxal qu'avec la création de cette instance provisoire le juge ne pourra pas être en mesure de contrôler la conformité des lois à la Constitution. Et nous en sommes là parce que l'ANC n'a pas consulté ni fait appel aux vrais spécialistes et experts dans le domaine».