Des joueurs payés des salaires fous et des entraîneurs de plus en plus chers fuient leur devoir fiscal. Une situation confuse et anarchique en attendant une vraie réforme Si le «discours» fiscal en Tunisie n'est pas le même quand on change de secteur ou de type d'activité, il reste à trouver un «discours» ou une «approche» fiscale en football. Une activité de loisirs en théorie, mais qui engendre aujourd'hui des revenus importants qui échappent à tout champ fiscal. Ce football, qui n'est plus amateur officiellement depuis 1995, est, aujourd'hui, un sport où des sommes importantes circulent, où des «plus-values» sont dégagées par les opérateurs (pas tous en ce moment), sans qu'il n'y ait la moindre taxation ou le moindre prélèvement au profit de la trésorerie de l'Etat. Et pourtant, une bonne partie des citoyens tunisiens (surtout les employés et les fonctionnaires de l'Etat) se trouvent, à chaque fin de mois, obligés de s'acquitter de leurs dettes envers l'Etat. Il payent leurs impôts (Irpp) sous forme de retenue à la source, sans oublier le paiement de taxes diverses (pour la municipalité par exemple). Ce bonhomme, qui gagne peu et qui paye ses impôts, se trouve dans une «injustice fiscale», en voyant des footballeurs qui gagnent au pire des cas trois fois plus qu'un salaire de cadre (et ça peut aller jusqu'à 90 fois !) fuir l'impôt et vivre dans une arrogante impunité fiscale. Mais pourquoi ils ne payent pas d'impôts? Une question simple, mais ô combien problématique. Une question que l'on se pose sans cesse depuis des années sans qu'il y ait de réponse. C'est de la pire injustice, c'est du n'importe quoi, diront certains. On a, en Tunisie, des joueurs qui gagnent 80.000 à 100.000 dinars par mois (au CA et à l'EST en premier lieu), alors qu'ils ne payent rien comme impôts. Il y a aussi des entraîneurs tunisiens et, avant eux, étrangers (souvenez-vous de la fameuse affaire Roger Lemerre) qui sont payés au moins 50.000 dinars par mois sans verser le moindre sou à l'Etat. Tout ça se poursuit depuis des années sur fond de flou juridique. On a des textes qui précisent que notre football est professionnel (le dernier décret de septembre 2011 autorise les associations sportives à entreprendre des activités marchandes et à créer une forme de plus-value) et que nos clubs peuvent se prétendre être professionnels et adopter des états financiers lors de l'assemblée (bilan, état de résultats et tableau de financement). Mais en même temps, et paradoxalement, rien n'oblige les clubs à payer des impôts sur les «bénéfices» (un terme pas tout à fait approprié, vu qu'on n'a pas encore des sociétés sportives) ni à retenir l'Irpp sur les salaires de leurs entraîneurs et joueurs. Manque à gagner Il n'y a pas une estimation réelle du manque à gagner de l'Etat en la matière. Ceci s'explique par la non-transparence des clubs qui ne révèlent pas les vrais montants des salaires qu'ils payent. Si on prend les grands clubs tunisiens comme le CA et l'EST, en premier lieu, qui payent le plus, on peut détecter une valeur colossale qui peut atteindre facilement, pour certains clubs, une moyenne de 50.000 dinars par mois! On a des clubs qui payent 100.000 dinars de salaires et au pire des cas 3.000 à 5.000 dinars. Si on applique les taux de l'Irpp actuels, on aura une note salée. Et même si on a essayé, à un certain moment, auprès de la FTF, de réglementer le paiement d'impôts du staff technique national, cela n'a pas eu de suite. Résultat : on se trouve avec une approche fiscale «nulle». Pas d'assiette fiscale, pas de prélèvement et pourtant ce sont des revenus générés sur l'espace tunisien et qui rentrent facilement dans le champ fiscal. Il n'y a pas que les salaires, les joueurs perçoivent aussi des primes de rendement, des primes de signature élevées sans qu'il y ait de prélèvement fiscal. Tout cela forme un manque à gagner terrible pour les finances de l'Etat. Pour les joueurs et les entraîneurs, en revanche, c'est un paradis fiscal meilleur que Monaco. Ils gagnent beaucoup, ils ne payent rien ! Ça s'applique également aux clubs qui, à travers les dons de leurs présidents, les montants élevés du «sponsoring» ainsi que les recettes de leurs boutiques (où ils ne collectent pas de TVA et ne payent pas d'impôts sur les bénéfices en fin d'exercice), génèrent des revenus imposables, mais sans payer d'impôts. Une loi en vue Cette situation frustrante risque-t-elle de se prolonger? On est en train de pousser vers la réglementation de l'impôt en football, comme ça se passe ailleurs. On a une loi de finances, un code de la fiscalité et bien sûr des experts en fiscalité et en management du sport. D'ailleurs, le ministère des Sports a entamé depuis des mois une réflexion sur cette question complexe. Il y a eu une réunion entre un groupe représentant le ministère des Finances et les cadres du ministère de tutelle pour mettre noir sur blanc la procédure fiscale et les différents taux et retenues à créer. Ça n'a pas encore abouti. Les clubs de football, déjà en difficulté financière, veulent renvoyer cela aux calendes grecques, et au pire des cas obtenir une certaine amnistie ou des taux allégés. Franchement, quand on voit un club payer 100.000 dinars par mois un joueur, on ne peut pas lui tolérer un allégement. La fiscalité, c'est un devoir et c'est une justice avant tout. Malheureusement, beaucoup de dirigeants n'en sont pas conscients. Faute de cadre légal, on peut faire ce qu'on veut!