Les agents de police ou de la garde nationale ont recours à la violence pour extorquer des aveux ou des informations, selon 37 % des personnes torturées L'Organisation mondiale contre la torture (Omct) a organisé, hier, à l'occasion de la visite d'une délégation de haut niveau conduite par son président, M. Dick Marty, ancien procureur général de Suisse, une conférence de presse sous le thème « Impunité = persistance de la torture ». Au cours de cette rencontre avec les représentants des médias, Mme Hend Khechine, chef de projet à l'Omct, bureau de Tunis, a présenté le rapport annuel du programme Sanad 2015. Notons qu'en septembre 2013, à l'initiative de l'Omct et l'Organisation contre la torture en Tunisie (Octt), deux centres de conseil et d'orientation pour les victimes de torture et de mauvais traitements ont ouvert à Sidi Bouzid et au Kef, sous le nom de « Sanad ». Dans le cadre de ce programme, les victimes de torture bénéficient d'une assistance juridique, sociale, médicale et psychologique. 118 victimes Ce rapport présente les différentes réalisations du projet « Sanad », ainsi que ses points forts et ses faiblesses. Il compte, également, des recommandations pour renforcer la lutte contre l'impunité, permettre aux victimes d'accéder à une justice équitable et mettre fin à la torture. Jusqu‘à septembre 2015, Sanad a pris en charge 118 victimes de torture. Cette prise en charge touche les volets juridique et social. Mme Khechine a indiqué que 69 cas ont bénéficié d'une assistance sociale et médicale, 98 victimes ont bénéficié d'une assistance juridique et 71 ont déposé des plaintes. Selon le rapport, les bénéficiaires de Sanad sont essentiellement des hommes, jeunes et issus de milieux défavorisés. La catégorie d'âge 19–25 ans présente 50 % des victimes de torture. Deux tiers des bénéficiaires sont au chômage, ou appartiennent à la classe ouvrière. Un cinquième des cas est constitué d'étudiants et d'élèves. D'autre part, les investigations effectuées dans le cadre de ce programme ont montré que 80 % des allégations de torture et de mauvais traitements impliquent la police et la garde nationale. La majorité de ces cas ont eu lieu dans les postes de police et de garde nationale au cours de la période de la garde à vue. Un seul cas de torture dont la victime est un prisonnier a été enregistré dans un hôpital. Séquelles psychologiques graves Pour ce qui est des causes de torture, 37 % confient que les agents de la police ou de la garde nationale ont recours à la violence pour extorquer des aveux ou des informations ; 45 % considèrent avoir été torturés pour des raisons de discrimination, de punition ou de représailles. Par ailleurs, 89 % des victimes de torture souffrent de problèmes de santé physique, 86 % vivent avec des séquelles psychologiques graves causées par l'agression qu'ils auraient subie. Mme Khechine a déclaré que plusieurs victimes ont de vrais problèmes de réintégration. Ils n'arrivent pas à retrouver leur vie normale au sein de la famille et dans la société. Mme Khechine a indiqué que la réhabilitation d'une victime de torture coûte cher : 34 mille dinars pour qu'elle puisse reprendre sa vie normale. Ces victimes nécessitent un suivi psychologique de près. Le rapport évoque également la grande disparité qui existe entre la durée minimale et la durée maximale de la phase d'enquête préliminaire de la procédure judiciaire, allant de deux semaines jusqu'à plus de trois ans. Sur 29 dossiers en phase d'instruction, plus de la moitié ont atteint 30 semaines à ce stade. Et pour 27 affaires en phase d'enquête préliminaire, plus de la moitié sont bloqués à ce stade depuis plus de 70 semaines. Le dossier le plus ancien remonte à 99 semaines. Principales recommandations du rapport Tout d'abord, il faut noter que l'accélération de la mise en place de l'Instance nationale de la prévention de la torture figure parmi les demandes du programme Sanad. De même, le rapport souligne la nécessité de permettre l'accès de l'avocat à son client dès les premières heures de la mise en garde vue. Il appelle à la réforme de l'article 13 bis du code de procédure pénale relatif au régime de la garde à vue, à l'affectation de la police judiciaire sous la tutelle du ministère de la Justice et les médecins pénitenciaires sous la tutelle du ministère de la santé. Le rapport parle de l'exigence d'un examen médical au début et à la fin de la garde à vue. Il appelle l'Etat à présenter périodiquement des statistiques fiables et détaillées sur les réalisations en matière de prévention de la torture et de lutte contre sa persistance. Selon le même document, les procureurs doivent instruire une affaire à la suite d'une simple allégation de torture.