Par Jawhar CHATTY Le profil, tout au moins le parcours diplomatique de Daniel Rubinstein, ne laisse guère indifférent. Il est même permis de penser que ce parcours a un peu beaucoup présidé au choix de l'administration américaine du successeur de Jacob Walles. Celui-ci aura, à bien des égards, été celui qui avait accompagné, du moins connu de près, les différentes phases du processus de la transition politique en Tunisie. Celui qui avait vu le pays en prise avec les assassinats politiques, la recrudescence du radicalisme religieux et, pour la première fois de son histoire, avec le terrorisme. Crise politique et institutionnelle sans précédent, difficile accouchement de la nouvelle Constitution, dialogue politique national qui, comme chacun sait, a été une consécration de la politique du consensus. Une politique du consensus qui d'ailleurs s'est prolongée par la suite pour donner corps, au lendemain des élections présidentielle et législatives de 2014, à une nouvelle configuration inouïe, bien consensuelle, du partage et de l'exercice du pouvoir. Inutile de dire que pour Jacob Walles cette longue, trop longue et pénible transition politique, «à la tunisienne» n'a guère été une période de tout repos. L'amorce, en mai dernier à Washington, d'un dialogue stratégique entre la Tunisie et les Etats-Unis, c'est aussi un peu lui. A peine venait-il de céder sa place à son successeur et voilà, nous dit-on, que Daech est à seulement «70 km de nos frontières» ! Jacob Walles avait été un des artisans du rapprochement stratégique entre les Etats-Unis qui, entre autres, s'est traduit par l'accession de la Tunisie au statut d'allié majeur non-membre de l'Otan. C'était quelques semaines avant la fin de sa mission en Tunisie. Un signe assez révélateur du ton que l'administration américaine semble vouloir donner au nouveau «cycle» de ses relations avec la Tunisie. La mission de Rubinstein semble à cet égard déjà balisée. En Tunisie, Jacob Walles a vu prendre la greffe et pousser les germes de la démocratie. Son successeur, Daniel Rubinstein, aura-t-il l'opportunité de voir la jeune pousse acquérir l'immunité nécessaire, croître et prospérer ? Le pays est aujourd'hui en guerre contre le terrorisme. Il est aussi en guerre contre le chômage des jeunes, la précarité de pans entiers de la société tunisienne. Sécurité et croissance, c'est à ce double niveau que le pays ira chercher les ressorts d'une démocratie pérenne. En mars dernier, se tenait à Tunis une conférence tuniso-américaine sur l'investissement et l'entrepreneuriat. Dans son discours d'ouverture à cette occasion, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, avait, à sa manière, c'est-à-dire avec un humour percutant et lucide, résumé en peu de mots le chemin parcouru par la Tunisie de puis le 14 janvier 2011. «La Tunisie est aujourd'hui au milieu du gué», disait-il. Citant Saint Thomas d'Aquin, il avait ajouté, «il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu». «Soyez assurés que les Etats-Unis ne laisseront pas la Tunisie au milieu du gué», lui avait alors expressément répondu l'ancienne secrétaire d'Etat américaine aux Affaires étrangères, Madeleine Albright. Sept mois plus tard, la Tunisie n'est hélas plus tout à fait au milieu du gué. Elle avait depuis marché à reculons. La menace de Daech, qui était à l'époque relativement lointaine est désormais à nos portes. L'économie tunisienne, qui était (seulement) en récession technique, est désormais en récession tout court.