Le premier Jazz'na a finalement eu lieu le week-end dernier, au Théâtre municipal de Tunis. Dans le cadre de la semaine de la musique instrumentale et avec le concours de l'ASCM, l'ambassade du Royaume des Pays-Bas à Tunis et l'Institut supérieur de musique de Tunis ont aidé le pianiste Mohamed Ali Kammoun à accomplir un de ses premiers grands rêves de jeune créateur : mettre en place un spectacle musical, mélange d'innovation et d'inventivité, avec le «Tunis-Amsterdam Big Band», brassage éclectique de musiciens tunisiens et hollandais, en collaboration avec Alex Simu, saxophoniste et clarinettiste de renom. Ces derniers, après avoir été confortés par leur précédent succès et la réussite de Jazz à mains (1ère édition), se sont tout de suite attaqués à l'ambitieuse organisation d'une néo-résidence entre les jazzmen venant des deux rives, occidentale et orientale. Union qui a laissé respirer, sur la scène du Théâtre de la Ville, les effluves d'un acte artistique profond et engagé. Le tout réunissant sur scène arts lyriques et scéniques, chants populaires et traditionnels tunisiens, ainsi que répertoire classique et jazz. Réunir un Big Band avec autant de musiciens, dont l'identité musicale puise à la fois dans leurs origines et leur contemporanéité, est un tour de force. De par le nombre de solistes et d'interprètes, il a été en harmonie du début jusqu'à la fin, et ce, malgré une sonorisation hésitante lors des concerts dans la «bonbonnière». D'ailleurs, on se demande pourquoi on n' encourage pas des perspectives comme celle de Jazz'na, en leur donnant le minimum, c'est-à-dire un matériel technique adéquat et des ingénieurs-son qualifiés? Malgré tout, Alex Simu avec ses instruments à cordes, et Mohamed Ali Kammoun aux percussions et au chant, ont su faire preuve d'une maîtrise subtile et raffinée. Le concert a débuté de manière fort originale, avec un arrangement signé M.A.Kammoun de Houmât El Hima, l'hymne national tunisien. Suivi de Vertige, une autre composition de l'auteur. Nous avons ensuite retrouvé, pour le troisième moment du concert, Fawzi Chekili avec son distingué Malouf Funk. Nous comprenons à quel point cet instant pouvait être émouvant pour les deux hommes. Chekili, le maître, apercevant un grand espoir artistique, à savoir son disciple Kammoun. Comme pour rester sur ces troublantes envolées, Kif Eddenya prend la relève. Arrangement de Mohamed Ali Kammoun, et Hichem Badrani comme soliste au nay. Avec un orchestre à l'écoute, c'est l'instrument de Badrani qui donnait les sonorités orientales, pour nous plonger directement dans les caverneuses euphonies sahariennes que retranscrit tellement et si justement le nay. Gravités sonores amplifiées par le piano de Kammoun, dans un dialogue lyrique entre les deux hommes. Ultérieurement, Zaâma a mis en avant une chorale menée par les chanteuses lyriques Andréa Saddam, Alia Sellami et Emna Jaziri. Ici, ce sont leurs voix qui tendaient à insuffler les ampleurs acoustiques aux violons, contrebasse et piano, en les habillant d'un timbre de voix suaves et sensuelles, comme ces éclats et parfums d'Orient que l'on se risquerait à sentir au détour d'un harem. La démonstration chantée de ces dames, minutieusement suivie par Mohamed Ali Kammoun, s'est conclue tout en finesse avec le nay de Badrani. Des bouillonnements enthousiastes suivis par un public réceptif, qui a littéralement «fondu» à l'écoute du morceau suivant, Night in Shiraz, composition, cette fois-ci, du grand Alex Simu. Pour lui et avec lui, six grands noms au-devant de la scène ont fait chavirer les cœurs présents. Autour de Simu à la clarinette, le percussionniste turco-néerlandais Sijahin During, le contrebassiste germano-néerlandais Jacob Pieter Zwagerman, le trompettiste néerlandais Jacob Rheinlander, avec pour les apports et consonances orientales du jeu, le même Badrani au nay et Emna Jaziri au chant. Face à un auditoire déjà conquis, et derrière eux un ensemble orchestral totalement silencieux, les six musiciens se sont mutuellement transportés pour nous faire vivre un moment de «jazz» féerique et authentique. Et ce que nous n'imaginions pas avant cette riche expérience du «Tunis-Amsterdam Big Band» a eu lieu, devant nos yeux, c'est qu'une clarinette s'accorde sur un nay, avec en suivi des accélérations d'une percussion enragée. Oui, ce fut possible, et c'est bien là le métissage. Poésie révoltée d'une sensibilité à fleur de peau, qui nous a délicieusement rappelé les morceaux de «free-jazz» qui pouvaient éclater à tout-venant, dans «les caves à jazz» des plus grandes capitales du monde. Sentiments qui nous ont d'ailleurs accompagnés jusqu'à la fin de ce concert, le premier, et espérons-le, pas le dernier événement du genre. Pour Tba Wehkeya, Dar Stambali, Que serai-je?, et Way to Africa, les recoupements mélodieux ont laissé place aux énergies mystiques et effervescentes, pour que le «Tunis-Amsterdam Big Band», dans une communion générale, confirme ses prestations iconoclastes et joyeusement non conformistes.