Les dirigeants d'Ennahdha martèlent pratiquement le même message sur un ton sévère et sentencieux. Un changement de position dans lequel les différents intervenants du parti passent à l'offensive sur des affaires qui gagnent progressivement en ampleur. D'abord, le Bureau politique qui a adressé lors de sa dernière réunion des messages expressifs au Chef du gouvernement. La crise économique et sociale inquiète le parti qui se soucie encore davantage du refus d'Elyes Fakhfakh face aux appels à l'élargissement de la coalition gouvernementale. Une coalition dont l'image, selon Ennahdha, a été aussi écornée par les soupçons de conflit d'intérêts à l'encontre du Chef du gouvernement. Ensuite, c'est la députée et membre du bureau exécutif Yamina Zoghlami qui menace que son parti allait poursuivre en justice le Parti destourien libre (PDL) et sa présidente Abir Moussi pour avoir qualifié « d'assassin» le président du Parlement, Rached Ghannouchi. Enfin, c'est au tour d'Ali Laârayedh, ancien chef du gouvernement et membre d'Ennahdha, de sortir de sa réserve pour critiquer la communication de la présidence de la République et qu'il qualifie même de « flou et préjudiciable ». Le mouvement islamiste ne se contente plus aujourd'hui de réfuter les accusations et les allégations dont il est l'objet. Il passe de l'autre côté de la barrière pour mettre au défi et à l'épreuve ses détracteurs et dénoncer la désunion de la coalition gouvernementale, ainsi que l'absence de solidarité et les tentatives de certains partenaires de dénigrer le parti et de s'unir avec les forces extrémistes. Le message vise ouvertement le mouvement Echaâb, avec qui rien ne va plus visiblement. Alors que la qualification de forces extrémistes touche le PDL et sa présidente Abir Moussi. Tout cela appelle le parti à réévaluer sa position à l'égrd du gouvernement et se maintenir prêt à une éventuelle redistribution des cartes non seulement au sein de la coalition gouvernementale, mais aussi dans tout le paysage politique. Voilà une façon de reconnaître que la réussite n'est pas forcément une affaire collective. Et là, l'on ne peut s'empêcher d'évoquer la tentation qui a toujours conduit le parti à dominer la scène politique et à gouverner non pas seul, mais plutôt comme l'exigent ses propres intérêts, ainsi que ceux de ses principaux dirigeants. Rached Ghannouchi est le premier concerné par cet état de fait. Il a toujours son mot à dire et ses convictions à transmettre et à respecter. La notion de domination et d'emprise est fortement ancrée dans l'imaginaire des dirigeants nahdhaouis. Elle contredit encore et toujours la théorie de l'ouverture à l'autre. En dépit des différentes évolutions auxquelles certains font référence ici et là pour donner une nouvelle image du parti, Ennahdha n'est pas aussi ouvert que veulent le faire croire ses têtes pensantes. Il y a des frontières qu'il ne saurait justement franchir. Des tabous intouchables, inviolables, même face à ceux qui désirent au sein du parti renverser la tendance et qui revendiquent de nouvelles valeurs, une nouvelle histoire. C'est l'usage qui perdure plus qu'il n'évolue. Comme on ne change pas sa famille, on n'a pas aussi le droit de changer ses convictions, ses croyances et son fanatisme. Au fait, c'est toute l'éducation de l'alternance et de la transition qui arrive encore à manquer. Pareille intolérance n'est pas propre à des dirigeants nahdhaouis bien déterminés. Les réactions et les réflexes protectionnistes font le tour de la base jusqu'au sommet.