Entre 2010 et 2014, la Tunisie a dégringolé de 20 places dans le classement des pays où la corruption a régressé Il est difficile d'évaluer l'ampleur réelle du phénomène de la corruption qui constitue un fléau aux contours invisibles, prenant des proportions de plus en plus importantes dans l'ensemble des secteurs. Ce qui parvient à la justice, à travers les plaintes déposées par des victimes de corruption, n'est que la partie apparente de l'iceberg, ce qui explique la difficulté d'établir un état des lieux objectif et précis d'un phénomène admis, de plus en plus banalisé et passé sous silence, car il sert les intérêts de tout un chacun, selon M. Kamel Ayadi, expert et un des représentants du Centre international de la corruption pour la région du Moyent-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena). Pour l'heure, les enquêtes de perception menées, chaque année, auprès des citoyens (douaniers, fonctionnaires, ....) sont les seules permettant de se faire une idée à long terme des proportions prises par la corruption dans les secteurs public et privé. Le seul hic est qu'il n'existe pas de définition commune du terme corruption qui engloble plusieurs significations citées par les personnes questionnées allant du pot-de-vin à l'extorsion en passant par les commissions occultes, le détournement de fonds et l'abus de pouvoir pour acquérir des biens illicites. D'après une enquête qui a été réalisée par la Chambre tuniso-allemande de l'industrie et du commerce, le niveau de la corruption en Tunisie représente l'une des principales causes qui explique la réticence des Allemands à vouloir investir en Tunisie. Il ne s'agirait pas de la seule raison : le climat sécuritaire, les lourdeurs administratives, les revendications syndicales sont autant d'obstacles cités dans le cadre de cette enquête. Entre 2010 et 2014, la Tunisie a dégringolé de 20 places dans le classement des pays où la corruption a régressé, ce qui laisse présager de scénarios inquiétants pour l'avenir du pays. Alors qu'elle devrait impérativement régresser au bout de cinq ans pour préserver les équilibres économiques, la corruption risque d'atteindre un niveau tel dans les années à venir qu'elle finira par devenir une partie intégrante du fonctionnement des équilibres politiques et économiques du pays, note l'expert international. « Il s'agit d'un des scénarios envisagés, explique M. Ayadi. On est passé du monopole du pouvoir à la constellation de nouveaux pouvoirs, ce qui a conduit à la démocratisation de la corruption. Le scénario qui est à craindre est celui d'une corruption qui continue à prendre des proportions de plus en plus importantes, ce qui va constituer une menace pour les équilibres économiques et politiques du pays. Après cinq ans, nous venons d'entrer dans une période critique. Espérons que nous n'atteindrons pas le niveau de corruption qui existe au Liban, un des pays les plus touchés par ce phénomène. Singapour représente, par contre, un bon exemple dans la mesure où il figure parmi les pays qui ont réussi à faire régresser considérablement le niveau de la corruption ». Mauvais rendement des mécanismes de plainte Aujourd'hui, la Tunisie occupe la 79ème place à l'échelle mondiale, sachant que la première place revient au pays le moins corrompu du monde, à savoir le Danemark, alors que le pays le plus corrompu classé à la 85ème place correspond à la Thailande. A l'échelle des pays arabes, la Tunisie est classée huitième sur les vingt pays les plus corrompus devançant le Maroc, l'Algérie et l'Egypte qui est classée douzième, à deux places du Liban qui occupe la quatorzième place. Plusieurs organisations internationales ont réalisé des études et des enquêtes sur le niveau atteint par la corruption dans les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (région du Mena). Selon le rapport du Projet mondial de la justice (WJP), une ONG entièrement indépendante qui a articulé ses enquêtes autour des thèmes de la gouvernance transparente, de la sécurité, de l'application de la loi, de l'accès à la justice dans le respect de la loi et des procédures, de l'absence de corruption dans l'exécutif, le judiciaire, la police et l'armée, la Tunisie a obtenu en 2014 et 2015 un score de 0,5/ 1 en matière de corruption, ce qui la classe au milieu du tableau loin derrière les Emirats Arabes Unis qui sont les moins touchés par la corruption alors que le Liban figure parmi les pays les plus corrompus avec un score de 0,37/1. D'après les chiffres de ce rapport, ce sont la police suivie des membres du parlement et des fonctionnaires du gouvernement qui sont le plus touchés par la corruption. Toutefois, d'après les conclusions du rapport, la corruption, après la révolution, a nettement régressé dans les appareils sécuritaire alors qu'elle a augmenté dans le système judiciaire. Selon WJP, si la Tunisie occupe le premier rang dans la région du Mena en matière de publication des lois et des données gouvernementales, de droit à l'information et de participation civile selon les personnes sondées, elle a par contre enregistré de mauvaises performances quant au rendement des mécanismes de plaintes mis à la disposition des citoyens pour dénoncer notamment les pratiques déloyales.