Si elles se concrétisent, les intentions de vote nous promettent le renfoncement de la polarisation politique en Tunisie qui renvoie à un contexte de division de l'opinion publique selon la proximité relative de chacun avec certains courants politiques, au détriment des partis centristes. En effet, après une période électorale à couteaux tirés et en dépit d'une crise sanitaire, économique et sociale inédite provoquée par la pandémie de coronavirus, l'éclatement, les divergences, les conflits et les alliances contre-nature au sein du paysage politique et surtout parlementaire pourraient conduire à cette situation de polarisation. Le constat n'est pas récent mais se confirme davantage. Les Tunisiens s'éloignent de plus en plus de la vie politique, la confiance qu'ils accordent aux politiciens s'affaiblit davantage. La situation s'explique certes par le faible rendement des différents acteurs et partis politiques dix ans après la révolution, mais surtout par les rapports conflictuels au parlement en l'absence d'une moralisation de la vie politique. Déçus des contre-performances de cette classe politique, certains Tunisiens aspirent à l'émergence d'une nouvelle élite politique capable de concrétiser leurs revendications. Le dernier sondage élaboré par Emrhod Consulting ne fait pas l'exception. Il confirme ce constat qui fait désormais l'unanimité. En effet, pour les différents acteurs et partis politiques, la cote de popularité est en baisse. Et pour cause, un manque de confiance accordé à ces politiciens qui n'arrivent plus à convaincre les Tunisiens. Selon ce sondage, le Président de la République, Kaïs Saïed, n'est pas épargné. Il souffre aussi de la détérioration de l'image des politiciens dans l'imaginaire et les représentations des Tunisiens. En effet, le taux de satisfaction des Tunisiens par rapport à leur chef d'Etat a connu une baisse significative. Le sondage indique que 49% des Tunisiens se disent satisfaits du rendement du Président de la République, contre 58% en septembre et plus de 60% en juillet dernier. Vers une polarisation politique ? Kaïs Saïed est-il en train de perdre considérablement sa popularité auprès des Tunisiens ou s'agit-il simplement de l'effet du pouvoir et d'être continuellement exposé au public? En tout cas, le locataire de Carthage, qui avait raflé plus de 70% des voix des Tunisiens lors du second tour de la présidentielle de 2019, reste toujours en tête des intentions de vote, et ce, pour le 11e mois consécutif, loin devant sa principale concurrente Abir Moussi, et ce, en cas de tenue d'élection présidentielle. Mais, fait marquant, les intentions de vote en sa faveur ainsi que sa popularité sont en chute libre depuis trois mois. Ce constat pourrait s'expliquer, en effet, par sa surexposition médiatique mais aussi par certaines positions qu'il avait, dernièrement exprimées. Pour les deux autres hauts responsables de l'Etat tunisien, la situation n'est pas meilleure. Le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a été approuvé seulement par 20% des citoyens, alors que 11% ont exprimé leur soutien au président du Parlement, Rached Ghannouchi, qui ne parvient toujours pas à convaincre les Tunisiens. S'agissant des intentions de vote pour les législatives si elles sont tenues immédiatement, c'est le Parti destourien libre (Pdl) qui continue de dominer les intentions de vote des Tunisiens malgré un léger recul. En effet avec 33% d'intentions de vote, pour le quatrième mois consécutif, le parti d'Abir Moussi reste indétrônable, suivi, sans surprise, d'Ennahdha avec 21% d'intentions de vote et de Qalb Tounès qui ferme la marche avec seulement 7%. Si elles se concrétisent, ces intentions de vote nous promettent le renfoncement de la polarisation politique en Tunisie qui renvoie à un contexte de division de l'opinion publique selon la proximité relative de chacun avec certains courants politiques, au détriment des partis centristes. En effet, après une période électorale à couteaux tirés et en dépit d'une crise sanitaire, économique et sociale inédite provoquée par la pandémie de coronavirus, l'éclatement, les divergences, les conflits et les alliances contre-nature au sein du paysage politique et surtout parlementaire pourraient conduire à cette situation de polarisation. L'exercice parlementaire relatif à la motion présentée par le Parti destourien libre (Pdl) rejetée par l'Assemblée des représentants du peuple n'a fait que, rappelons-le, confirmer ce constat. Pour les observateurs, ces rebondissements politiques et parlementaires conduiraient en effet à des formes de polarisation politique et feraient ressurgir le «conflit historique» entre islamistes et destouriens à l'horizon des prochaines élections prévues en 2024. Pour une nouvelle élite politique Ces sondages, même s'ils sont constamment critiqués en raison de certains manquements méthodologiques ou des intentions d'orientation politique, ne font qu'exprimer ce que les Tunisiens pensent de l'actuelle classe politique qui a pris les commandes du pays et dont le rendement ne répond pas à leurs aspirations. Cette crise institutionnelle qui s'est emparée du paysage politique tunisien et cette instabilité politique qui ne cesse de déstabiliser le pays — en cinq mois, le pays a connu deux chefs de gouvernement, Elyès Fakhfakh et Hichem Mechichi — ne sont pas sans conséquences sur l'opinion publique et sur les intentions et les positions des Tunisiens. Le contexte politique qui reste tendu entre le Président Kaïs Saïed et le premier parti du pays Ennahdha, les interminables conflits sous le dôme de l'Assemblée des représentants du peuple, la montée de courants extrémistes et autres, constituent en effet des sources d'inquiétude pour les Tunisiens las des jeux politiques stériles. Aujourd'hui, plus que jamais, une nouvelle élite politique s'impose d'autant plus que le pays est à défaut de politiciens capables de déchiffrer les messages que ne cessent d'envoyer les Tunisiens.