Les libertés publiques et privées sont menacées du fait de certains dépassements qu'on ne peut que regretter, d'où la nécessité d'adapter les législations à l'esprit de la constitution Les libertés individuelles et collectives sont-elles en train de reculer, dans la mouvance de la guerre menée contre le terrorisme où l'on a enregistré — comme l'ont déjà prédit plusieurs observateurs et analystes à l'époque où les députés discutaient la loi antiterroriste — quelques dépassements commis par les forces de sécurité et aussitôt dénoncés par les associations de la société civile gardiennes des libertés et par quelques partis de l'opposition dont la présence sur la scène politique nationale se limite, désormais, depuis leur déconfiture électorale le 26 octobre 2014, à de rares communiqués officiels ou interventions sur les réseaux sociaux ? Ainsi, les affaires de la jeune militante du mouvement «Ma N'samehchi» (Non, je ne pardonne pas) Afraâ Ben Azza au Kef, des jeunes étudiants de Kairouan condamnés à la prison et au bannissement sur la base du fameux article 230 du code pénal et de certains jeunes artistes privés, eux aussi, de leur liberté sur la base de la loi 52/1992 relative à la consommation de drogue, sont-elles venues tirer la sonnette d'alarme sur «l'atteinte aux libertés et le non-respect des engagements pris par le chef de l'Etat et le chef du gouvernement qui promettaient que l'éradication de l'hydre terroriste ne se fera pas aux dépens des libertés publiques et privées». Réviser les lois à la lumière de l'esprit de la Constitution Et la colère ou l'indignation face aux erreurs commises par les forces de sécurité et vite rattrapées (libération de la militante Afraâ Ben Azza qui a eu le courage et l'honnêteté de reconnaître qu'elle n'a subi aucune agression physique durant sa période de sa garde à vue dans les locaux de la police) de migrer vers le palais de Carthage où le président Béji Caïd Essebsi n'a pas manqué d'exprimer son opposition, en recevant le 17 décembre les députés de Sidi Bouzid, «à ces comportements indignes de la Tunisie démocratique. La police pouvait traiter l'affaire autrement même si la jeune lycéenne s'est mal comportée» a-t-il notamment souligné. Les partis politiques, à l'affût des dérives, se mobilisent dans le but de maintenir vivace la veille citoyenne et aussi, de proposer des solutions à même de préserver les libertés individuelles et de les cimenter à travers un arsenal juridique qui va de pair avec l'esprit démocratique et libéral qui préside à la Constitution du 27 janvier 2014. Et c'est dans cet esprit qu'Al Qotb (l'une des composantes du Front populaire) ne se contente pas de stigmatiser les erreurs commises. Il propose une feuille de route fondée sur quatre axes fondamentaux. Dans une déclaration publique dont une copie est parvenue à La Presse, on découvre qu'Al Qotb appelle à : — «L'institution d'une amnistie générale au profit des jeunes condamnés en vertu de la loi 52/1992 relative à la consommation de drogue dite zatla — La révision de certains articles juridiques non conformes à l'esprit de la Constitution, en particulier l'article 230 du Code pénal relatif aux affaires d'homosexualité — L'accélération de la mise en place de la Cour constitutionnelle, la seule institution habilitée à consacrer la justice constitutionnelle et à prémunir la Constitution contre les violations. Il est regrettable de relever que les délais prescrits par la constitution pour la création de cette cour et son entrée en fonction (avant fin novembre 2015) n'ont pas été respectés par nos députés qui donnent l'impression à l'opinion publique qu'ils ont d'autres priorités plus importantes que celles de concrétiser le contenu de la Constitution. — Enfin, le lancement d'une initiative nationale pour la protection des libertés et des droits économiques, sociaux et culturels. L'objectif de cette initiative est de faire l'inventaire, dans une première étape, des législations en contradiction avec l'esprit de la Constitution et d'organiser, dans une seconde étape, des forums de débats citoyens en vue de proposer l'amendement de ces législations». On nage dans le surréalisme «Il est étonnant de voir le président de la République, le chef du gouvernement et le ministre de l'Intérieur s'accorder à dénoncer les violations des libertés individuelles et s'en indigner publiquement chaque fois que ces violations sont commises. Parallèlement, ces violations se répètent. On a le sentiment qu'au plus haut niveau de l'Etat, il suffit que les dépassements soient pointés du doigt pour qu'ils cessent miraculeusement. C'est une situation surréaliste à laquelle il est temps de mettre un terme définitif», renchérit un analyste politique s'exprimant sous le sceau de l'anonymat. Il ajoute : «Il est temps aussi d'en finir avec ces lois datant de la période coloniale (le bannissement) qui n'ont été annulées ni par la Constitution de 1959 ni par celle du 27 janvier 2014. Aujourd'hui, beaucoup d'articles dans la Constitution sont en contradiction avec le vécu législatif quotidien et les magistrats se trouvent dans l'obligation d'appliquer des lois obsolètes mais toujours en vigueur». Reste la préservation des libertés publiques et individuelles. «Malheureusement, on observe qu'on est en train de glisser facilement vers la répression, sous le faux prétexte d'appliquer la loi. Les arrestations anarchiques, l'excès de zèle manifesté lors des mouvements citoyens de protestation ne sont pas pour rassurer les Tunisiens que leurs libertés sont prémunies contre les dérives ou les dépassements qu'on qualifie toujours d'actes isolés ou de comportements individuels dont les auteurs seront sanctionnés. Comment arrêter ces pratiques ? Pour moi, on ne se lassera jamais de mener des campagnes de sensibilisation permanentes en vue d'impliquer le citoyen et de le pousser à exercer son droit à la participation à la révision des législations régissant sa vie quotidienne et à faire pression également sur ses représentants au parlement afin qu'ils se décident à ouvrir ce vaste chantier qu'est l'adaptation de nos législations à la Constitution», conclut notre analyste.