Par Amor NEKHILI* Condamné par la CPI pour crime contre l'humanité, Omar Hassan Al Bashir se déplace impunément avec la complicité de certains pays arabes et africains Selon la fiche d'information publiée sur le site de la CPI, Omar Hassan Al Bashir est visé par 10 chefs d'accusation et serait pénalement responsable en tant que coauteur ou auteur indirect, au sens de l'article 25-3-a du Statut de Rome pour : Cinq chefs de crimes contre l'humanité : meurtre, extermination, transfert forcé, torture et viol. Deux chefs de crimes de guerre : le fait de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités et pillages. Trois chefs de génocide : génocide par meurtre, génocide par atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale et génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique. Sous le coup de deux mandats d'arrêt internationaux délivrés par la CPI (4 mars 2009 et et 12 juillet 2010), Omar Hassan Al Bashir est actuellement en fuite et n'est pas détenu par la CPI. Du moins, c'est ce que rappelle un communiqué officiel du bureau du procureur de la cour. Un petit rappel des faits Le 31 mars 2005, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, aux termes de la résolution 1593 (2005), de déférer au procureur de la CPI la situation au Darfour. Dans l'après-midi du 7 avril 2005, lors d'une réunion au siège de la CPI, les magistrats ont ouvert un pli scellé renfermant une liste de noms de personnes que la Commission internationale d'enquête de l'Organisation des Nations unies soupçonne d'avoir commis au Darfour (Soudan) des crimes graves au regard du droit international. Cette liste inclut les noms de 51 personnes ainsi que les raisons pour lesquelles la commission les soupçonne de s'être rendues coupables de crimes au Darfour et parmi lesquelles figure Omar Hassan Al Bashir. Au pouvoir à Khartoum depuis 1989, Omar Hassan Al Bashir n'a pas limité ses déplacements. Le chef de l'Etat soudanais a pu se rendres au moins 45 fois à l'étranger. parmi ses destinations favorites figurent l'Ethiopie où siège l'Union africaine, le Qatar et l'Arabie Saoudite. Le dernier en date, sa présence, en juin, à Johannesburg, pour le 25e sommet de l'Union africaine. Omar Al Bashir a pu quitter librement l'Afrique du Sud, pourtant tenue, de par sa ratification du Traité de Rome, de l'arrêter et l'extrader vers La Haye, siège de la Cour pénale internationale. Pourtant, le gouvernement d'Afrique du Sud a traditionnellement été un ardent défenseur de la CPI. Un litige est actuellement en instance à la CPI et devant des tribunaux nationaux en Afrique du Sud sur la coopération de ce pays avec la CPI. Le parti au pouvoir en Afrique du Sud, le Congrès national africain, a toutefois appelé l'Afrique du Sud à prendre des mesures en vue de se retirer du Statut de Rome. Dans un memorundum, paru en novembre 2015, Human Rights Watch pointe du doigt les défaillances de la CPI et note que la Cour n'est pas une institution irréprochable et qu'elle a encore beaucoup à faire pour renforcer son application de la justice. Néanmoins, indique HRW, «elle continue d'accomplir des progrès importants et demeure de manière cruciale le tribunal de dernier recours pour les victimes de nombre des crimes les plus graves. Comme nous l'avons vu à travers les multiples requêtes émises par des gouvernements africains et adressées à la CPI pour qu'elle ouvre des enquêtes dans des situations sur leurs propres territoires, les juridictions nationales continuent de rencontrer des difficultés dans leurs efforts déployés pour faire répondre de leurs actes les responsables des crimes les plus graves». Alors, la Cour pénale internationale est-elle un jouet aux mains des pouvoirs politiques ? Une conférence organisée à Tunis a essayé d'éliminer les malentendus, incertitudes et idées fausses qui se créent autour du sujet de la CPI en Afrique et qui, par conséquent, affectent le soutien et la légitimité de celle-ci sur le continent. Organisée par Africa Legal Aid, en partenariat avec l'Institut arabe des droits de l'Homme et Avocats sans frontières Suisse, cette conférence a eu lieu dans un contexte politique tendu dans lequel les critiques de la CPI ont été encore intensifiées. Peu avant la tenue de la conférence à Tunis, la question d'un retrait du Statut de Rome avait été envisagée par l'Union africaine, lors d'une assemblée extraordinaire, lorsque deux inculpés de la CPI ont accédé au pouvoir au Kenya. En effet, si les Etats africains ont participé en grand nombre aux travaux ayant abouti à l'adoption du Statut de Rome et si le Sénégal, un Etat africain, a été le premier pays au monde à ratifier le Statut de Rome, il reste encore beaucoup à faire pour renforcer le soutien à la CPI et la justice pénale internationale en Afrique. Il faut aussi savoir, lit-on dans le document final de la conférence, que « les visions africaines de la justice pénale internationale sont très divergentes et qu'il y a plusieurs pays qui y sont favorables». La preuve est que la Tunisie elle-même a ratifié le Statut de Rome en 2011, devenant ainsi le premier pays d'Afrique du Nord à le faire. La Côte d'Ivoire a suivi l'exemple tunisien près de deux ans plus tard en février 2013. «Force est de constater le point commun que partagent ces deux pays, fait-on remarquer, à savoir le fait qu'ils sortent récemment d'une situation de conflit interne. Ils sont conscients du rôle qu'occupe la justice pénale internationale dans l'instauration et le maintien de la paix dans des situations post-conflit. Et à ceux qui continuent de croire que l'Afrique est particulièrement dans le viseur de la CPI, l'ex-secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, leur rappelle que la CPI s'en prend plutôt à la culture de l'impunité, de même qu'à leurs auteurs, et non pas à l'Afrique. Elle est «la voix des sans voix», scande-t-il. A.N. *(Journaliste, ex-OIC United Nations Information Centre Tunis)