Ghazi Zorbani signe l'adaptation d'une pièce en un acte, de l'un des plus grands dramaturges d'Amérique, connu pour être sur l'avant-garde de ce qu'on appelle le Théâtre de l'absurde. C'est fou ! On dirait que chaque théâtre a son public de professionnels. Vendredi dernier, au Théâtre de poche l'«Artisto» et à l'occasion de l'avant-première de «Coïncidence» (ou «Dimanche fin de journée», titre en arabe), une nouvelle création de Ghazi Zorbani, nous avons rencontré des têtes qui ne fréquentent pas toutes les premières. Qu'est-ce qui sépare les gens du milieu, surtout qu'à une certaine époque, ils ont dû se croiser sur des œuvres dont la plupart sont inoubliables ? Bref, là n'est pas le sujet. Ou plutôt si. Car ce qui sépare les deux personnages de la pièce est aussi absurde que ce qui sépare nos artistes. Le public fait son entrée dans la petite salle de représentation de l'Artisto, tandis que Ghazi Zorbani, alias «Mouafak», est déjà sur scène. Il lit tranquillement sur un banc de jardin public. Les feuilles mortes indiquent l'automne. Le spectacle commence avec la musique extraite de la bande originale du film «Le parrain», laquelle, cela dit en passant, n'ajoute rien à l'action déjà installée. Mohamed Grayaa, dans la peau d'un jeune bohème marginal et désœuvré, apparaît dans le décor. Il s'impose à Mouafak et insiste pour lui raconter sa journée. Et c'est la fissure dans le monde tranquille du premier personnage, cadre dans une maison d'édition, bien marié, habitant une de ces nouvelles cités dortoirs et père de deux petites filles. Farhat, qui macère dans la précarité, souligne sa différence et exprime son mépris envers ce monde, représenté par son interlocuteur, et qui n'incite à rien d'autre qu'à faire du fric à tout prix. Mouafak finit par sympathiser avec son nouvel ami. Il écoute patiemment son récit, malgré toutes les provocations et les remises en question. Farhat, au moins, cherche à «être», à se soulager de l'horreur environnante, tandis que lui se meurt dans une vie monotone, sans charme ni relief. Elle est belle cette métaphore des gouffres où sombrent ceux qui n'ont pas eu la chance de naître du bon côté de l'arithmétique sociale. Ghazi Zorbani, le metteur en scène, la doit à Edward Albee, auteur dramatique américain. «Coïncidence» est une adaptation de «The Zoo story» (L'histoire du zoo), une pièce en un acte montée pour la première fois en allemand en 1959, dans le cadre du festival de Berlin où elle est présentée conjointement avec «La dernière bande» de Samuel Becket. Au moment de sa production, «The zoo story» était saluée comme la naissance du théâtre de l'absurde américain. Mais le ton monte entre les deux hommes lorsque Farhat insiste pour que Mouafak lui cède son banc. La fin est dramatique et inattendue. Elle est même sanglante. Que reste-t-il du bien et du mal quand plus aucun indicateur n'est intelligible ? La puissance morale de la pièce secoue bien au-delà de cette mise en scène qui s'accroche, hélas, un peu trop au texte.