L'histoire, totalement imbriquée à celle de l'art de bâtir en Tunisie, méritait d'être contée. Les traces et les signes sont partout : dans les placards des aïeules, sur les murs des vieux palais et demeures, dans les arrière-salles des cafés, sur les façades des maisons anciennes, dans les jardins, sur les terrasses. Les Chemla, dynastie de céramistes d'art, ont marqué de leur empreinte l'architecture tunisienne et ses arts décoratifs. L'histoire, totalement imbriquée à celle de l'art de bâtir en Tunisie, méritait d'être contée. Moncef Guellaty, éditeur heureux qui a la chance de ne publier que ce qu'il aime, a entrepris de le faire. Pour cela, il a commencé par mener une longue enquête, quasi policière : où étaient les objets, les panneaux, quels étaient les collectionneurs, quels musées en possédaient, dans quelles demeures existaient encore des panneaux décoratifs, qu'étaient devenus les carreaux de l'ancienne maison Chemla ? Il a impliqué dans cette remontée de l'Histoire, car il ne s'agissait pas moins que de retracer «un siècle de céramique d'art en Tunisie», il a donc associé à cette quête d'une mémoire dont ils sont les premiers dépositaires, les derniers Chemla, Jacques Chemla, Monique Goffard et Lucette Valensi. Les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de Victor, Albert, et Mouche, eux-mêmes fils de Jacob, fils de Haï Chemla ont joint leurs souvenirs pour raconter cette saga qui s'inscrivait dans la longue tradition de la céramique tunisienne. Tradition qu'ils ont rénovée, réinventée, et qu'ils ont fait connaître à travers les frontières, au Maghreb, bien sûr, mais aussi en Europe et jusqu'aux USA. Les œuvres des Chemla se trouvent en Tunisie, bien sûr, mais aussi beaucoup à Alger, à Miami, à Santa Barbara. Elles sont exposées dans les musées en France, en Suisse, on les voit passer dans les plus prestigieuses ventes aux enchères, et elles sont, certainement, soigneusement et jalousement gardées par de grands collectionneurs passionnés. Les Chemla vécurent à Tunis, à Nabeul, à Alger, fréquentèrent les grands peintres de l'époque, recevaient à leur table Albert Marquet, Majorelle, Max Moreau, travaillèrent avec les plus grands architectes de l'époque, participèrent aux expositions universelles, décorèrent des palais dont celui de Carthage... Si les fils Chemla ne sont plus là aujourd'hui, leurs œuvres ne sont pas oubliées. En Algérie, la gare de Skikda est classée monument historique. Aux USA, la Casa del Herrero est restaurée et protégée. Une demeure, à Princeton, a été démontée pour suivre sa propriétaire en Angleterre. Des musées, dont celui du Quai Branly, le musée d'Ethnographie de Genève, ou celui d'art et d'histoire du judaïsme à Paris, conservent, dans leurs collections, des pièces représentatives de l'art des Chemla. Mais la relève se fait, et la mémoire des Chemla persiste. Mohamed Messaoudi, collectionneur passionné, réunit, restaure, et préserve panneaux et carreaux provenant de l'ancienne maison Chemla. Et travaille, avec des artistes et des artisans, à la reproduction de ces carreaux. Tout en exposant une collection des carreaux originaux au musée des religions ouvert dans la Médina de Hammamet. Pour que la mémoire demeure. Un siècle de céramique d'art en Tunisie - Editions Déméter/ Editions de l'Eclat