Les déficiences enregistrées ces dernières années au niveau de l'infrastructure de base, de l'absence d'équipements et de la carence des médecins dans les régions de l'intérieur du pays sont des indicateurs significatifs de la crise que connaît le secteur public de la santé en Tunisie. Est-il voué à la privatisation ? L'absence d'un gynécologue-ostétricien à l'hôpital régional de Tataouine, qui a entraîné le décès d'une jeune femme lors de son accouchement, relance une fois encore le débat sur l'état de précarité des hôpitaux publics, particulièrement dans les régions de l'intérieur, et ce, il faut le souligner, malgré les efforts des autorités publiques de venir à bout de ces problèmes. «Il n'y a pas eu un seul médecin spécialiste diplômé au cours de l'année 2015», a avoué Saïd El Aidi, ministre de la Santé, lors d'une émission télévisée diffusée sur la chaîne El Watania. Pourquoi mourir bêtement ? Selon le Pr Habiba Ben Romdhane de l'Observatoire national des inégalités sociales en santé (Oniss), la mortalité maternelle est un problème de santé, marqué par de grandes inégalités sociales et disparités régionales. Globalement, le taux de mortalité maternelle enregistré en Tunisie est de l'ordre de 45 pour 100.000 naissances. Il est inférieur à 20 au Liban, il se situe aux alentours de 1 à 2 dans les pays scandinaves et autour de 8 dans les pays d'Europe du Sud. Les femmes continuent de mourir bêtement en Tunisie, quand elles accouchent. La mortalité maternelle est marquée aussi bien par les déterminants sanitaires (disponibilité, accessibilité, qualités des services de soins) que par les déterminants sociaux (éducation, conditions de vie, niveau économique, etc.). Hanen, étudiante stagiaire dans un hôpital public, estime que la mortalité maternelle est un faux problème. «Il existe des dizaines de femmes qui meurent lors de l'accouchement à Tunis alors qu'elles sont entourées de médecins», précisant qu'il y a un manque flagrant d'équipements. «A quoi ça sert d'envoyer un médecin dans un hôpital où il ne peut pas pratiquer, faute d'équipement. Par ailleurs, si le médecin est marié et a des enfants et qu'il est installé à Tunis, il ne peut pas abandonner sa famille pour aller travailler ailleurs où tout manque», ajoute-t-elle. Maladie chronique du secteur «Le secteur de la santé publique souffre d'une maladie chronique qui ne trouve pas encore de remèdes. Nous avons diagnostiqué un manque flagrant de médecins spécialistes, d'absence de matériels et de personnels paramédicaux», déplore Samar Sammoud, conseillère auprès du ministre de la Santé, dans une émission télévisée sur la chaîne El Hiwar Ettounsi. Mais ce sont les régions de l'intérieur du pays qui sont les plus éprouvées par la crise que traverse le secteur. Un spécialiste de la santé parle d'inégalités précisant qu'il y a une alternance des spécialistes dans les hôpitaux régionaux mais que les incidents se produisent lors des passations. Les solutions préconisées par le ministre de la Santé pour pallier cette situation intenable, l'adoption du système de rotation des médecins de santé publique. Désormais, chaque médecin doit assurer une permanence de 24h00 dans un hôpital régional en contrepartie d'une prime de 600 dinars. Les incitations financières sont un atout de taille pour remédier à cette lacune. D'ailleurs, pour s'y faire, un fonds spécial est prévu dans la loi de finances de 2016 pour les médecins spécialistes qui veulent s'installer dans les régions. Mais est-ce suffisant face à la concurrence redoutable du secteur privé ? Un projet de loi avorté En 2012, un projet de loi obligeant les médecins ayant fini leur spécialisation à travailler durant trois ans dans une des régions de l'intérieur du pays avant de s'installer à leur propre compte, et ce, à l'instar des enseignants. Ce projet a connu une levée de boucliers de la part de milliers de jeunes médecins tunisiens qui l'ont rejeté en bloc en faisant grève durant plus d‘une semaine, affirmant que l'article 24 de la Constitution garantit le droit de choisir son lieu de résidence. Résultat des comptes, le pays dispose d'une médecine à deux vitesses : l'une pour les riches qui peuvent se permettre des soins dans les cliniques privées et l'autre pour les pauvres qui n'ont d'autres choix que de recourir aux hôpitaux publics où tout manque : l'hygiène, l'équipement, les médecins, les infirmiers, etc. Quelle politique de santé faut-il adopter ? La question est là. A rappeler que selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Tunisie a une moyenne de 12 médecins et 21 lits d'hôpitaux pour 10 000 habitants, contre 35 médecins et 71 lits en France pour la même densité.