De Carthage à Mascate : Une histoire partagée, un partenariat renforcé    Kaïs Saïed menace de nouveau de remplacer les responsables par des chômeurs    Kaïs Saïed, jeunes médecins, décret 54…Les 5 infos de la journée    Redeyef : après la colère populaire, des promesses en cascade    « Délice Football Cup » : une véritable aventure sportive et humaine    Trafic de rendez-vous : TLS Contact veut agir, mais attend l'aval des consulats    Orages et pluies fortes attendus ce soir    Tunis accueille la 4e Conférence arabe sur l'épargne : appel à une culture financière inclusive et intégrée    Tunisair alerte sur des perturbations de vols vers la France en raison d'une grève    L'UGTT dénonce le blocage des négociations sociales et appelle à la mobilisation    Youcef Belaïli arrêté à Paris : son père dénonce un traitement injuste    Nucléaire : l'Iran suspend officiellement sa coopération avec l'AIEA    Tunisie : l'encours des Bons du Trésor a dépassé les trente milliards de dinars    Tunisie : Explosion de la consommation de cannabis chez les adolescents    Dougga le 5 juillet : NOR.BE et 70 musiciens en live dans le théâtre antique    Maîtres-nageurs tunisiens : vers la révision de leurs statuts pour renforcer la protection civile    Mabrouk Aounallah : les propos du ministre des Affaires sociales ont été sortis de leur contexte    Crise des jeunes médecins : vers une sortie de l'impasse, selon Wajih Dhakar    Les Etats-Unis cessent la livraison d'armes à l'Ukraine : Kiev vacille, Moscou à l'affût    Spinoza, Dieu et la nature à l'épreuve du Big Bang: vers une métaphysique cosmique    Vient de paraître : Paix en Palestine: Analyse du conflit israélo-palestinien de Mohamed Nafti    Football-US Monastir : Faouzi Benzarti sur le départ?    Décès de Mrad Ben Mahmoud : Un photographe de grand talent nous quitte    Tournée de La Nuit des Chefs au Festival Carthage 2025, Festival Hammamet 2025 et à El Jem    Signature d'un financement bancaire syndiqué stratégique pour Enda Tamweel    Tunisie L'élite humiliée    Il ne fait rien... et pourtant il est payé : le métier le plus déroutant du monde    Le cri des jeunes médecins : nos revendications ne sont pas un luxe, mais un droit !    L'EST interdite de recrutement : La raison ? Pénalités de retard !    Trump annonce une trêve de 60 jours dans la bande de Gaza    l'UTC Business School, première école au Maghreb et deuxième en Afrique à obtenir le label BSIS    Vers un "America Party" ? Musk s'oppose au projet de loi budgétaire américain    Ecomondo 2025 en route: trois étapes internationales vers l'édition de novembre au parc des expositions de Rimini (Italie)    Urgence nationale : La santé publique au cœur du chantier présidentiel    Budget 2025 : un excédent de 2 milliards de dinars confirmé, la ministre des Finances souligne l'efficacité du contrôle des dépenses    Tunisie – Oman : Comment multiplier les 10.000 Tunisiens au Sultanat et les 97 millions de dinars d'échanges commerciaux    El Jem : Trois maisons romaines restaurées dans le cadre d'une coopération tuniso-italienne    Amel Guellaty triomphe au Mediterrane Film Festival 2025 avec son film Where the Wind Comes From    Grève générale des médecins internes à partir d'aujourd'hui    Le programme d'aide à la publication Abdelwahab Meddeb (PAP) lancé dans sa 2ème session au titre de l'année 2025    Trump tacle Musk sur le montant des subventions qu'il touche    Vient de paraître - Paix en Palestine: Analyse du conflit israélo-palestinien de Mohamed Nafti    Plateforme Rafikni pour le suivi en temps réel des entreprises communautaires    Wimbledon : Ons Jabeur contrainte à l'abandon après un malaise sur le court    L'écrivain tunisien établi en Espagne Mohamed Abdelkefi est décédé    Wimbledon 2025 : Ons Jabeur face à Viktoriya Tomova au premier tour    Coupe du Monde des Clubs 2025 : l'Espérance de Tunis quitte la compétition la tête haute malgré l'élimination    Officiel : Neymar prolonge son aventure à Santos jusqu'en décembre 2025    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Cheikhs en confidences», roman en français de Monia Mouakhar-Kallel: Une écriture d'une souplesse radieuse
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 02 - 2021

De l'ouverture à la clôture de cet attachant roman récemment écrit en français et publié par la nouvelle romancière tunisienne, Monia Mouakhar-Kallel, «Cheikhs en confidences», le personnage principal ou, si l'on veut, «le héros positif», comme les spécialistes de narratologie l'auraient appelé, ce vieux cheick zitounien, directeur d'une école coranique privée, lors de la période ultime de la colonisation (1946-1956), est omniprésent. Sans nom particulier, mais amplement défini et présenté plutôt sous un beau jour, il s'annonce dés l'incipit comme le pivot autour duquel se construit tout ce roman qu'il domine et parcourt de part en part. C'est de lui, du bon père qui présidait consciencieusement aux destinées de sa famille, se saignant aux quatres veines pour subvenir à ses besoins, et du gentil patriarche qui s'en tenait à un conservatisme de bon ton, mais qui ne s'interdisait pas quelque ouverture à une modernité balbutiante, qu'il s'agit principalement et par-dessus l'histoire, toujours intéressante, de cette époque importante. Epoque de combat pour la libération nationale, de rêves d'indépendance, d' appels, encore informes et timides, à l'émancipation de la femme (Tahar Haddad, cité nommément, par deux fois), époque décisive où l'avenir d'une Tunisie indépendante et souveraine commençait à se dessiner et que l'auteure de ce roman a su évoquer par intermittence et sans beaucoup s'y attarder comme l'aurait fait un historien. Car tout prête à croire qu'elle ne cherche point à faire un roman historique, mais qu'elle veut juste situer son personnage central qui lui est cher, dans l' époque et la ville (Sfax) où il avait vécu, afin de mieux l'identifier, et d'organiser autour de lui l' univers spatio-temporel de son récit, sa diégèse. En parallèle ou en deuxième position, il y a l'autre Cheikh, le plus jeune, zitounien aussi et dont le vieux cheikh avait accepté de faire son beau-fils, le préférant à son frère aîné, le militant nationaliste en cavale, et écoutant la voix secrète du «Maktoub», comme s'il avait deviné que, devenant un jour aveugle, ce gendre serait « le compagnon de ses jours perdus» (p. 209), que « c'est par lui qu'il continue (rait), à avoir une part au soleil » (Ibid.) et que ce serait lui enfin qui viendrait un jour, quand il passerait de l'autre côté de la vie, «baisser délicatement ses paupières» (p. 217). Celui-là, instituteur de son état qui s'improvisait aussi arboriculteur à ses heures, il le tenait entre tous en haute estime et l'adoptait comme son propre enfant. Les deux, spontanément et comme s'ils étaient déjà rencontrés dans «une vie antérieure », s'étaient pris d'affection l'un pour l'autre et une profonde histoire d'amitié s'était nouée entre eux. Et c'est bien le bilan de cette belle amitié dans laquelle les deux cheikhs mettaient beaucoup de complicité et d'espoir, que Monia Mouakhar-Kallel, vient faire dans ce roman, en mobilisant dans son texte un narrateur «hétérodiégétique» qui raconte à l'imparfait, retranché dans « un point de vue omniscient », c'est-à-dire dans la posture de cet « être de plume » qui sait tout et voit tout, les deux vies à la fois parallèles et confondues de ces deux cheikhs trouvant en eux-même assez de puissance généreuse pour plonger dans leur quotidien, en dépit des difficultés, des peurs et des incertitudes, et dont le second semblait se préparer, à son insu, pour être la prolongation du premier, celui qui, bien enraciné dans sa culture, accompagnerait la marche de la Tunisie indépendante vers le progrès. Deux âmes d'encre enclose dans l'imagination ou, peut-être, dans la mythologie ou la nostalgie de l'auteure évoquant ce qu'on lui aurait raconté sur la Tunisie de la fin des années quarante et du début des années cinquante et qui se battait pour sa liberté, tout en continuant à vivre, dans la simplicité, son quotidien traditionnel, avec des mariages, des vacances à la campagne, du travail, de la débrouillardise, des nouvelles de résistants traqués, emprisonnés ou assassinés par la police coloniale, des peines et des joies. Tout est raconté à la 3e personne, avec une froide «objectivité», celle d'un narrateur extradiégétique, c'est-à-dire extérieur aux personnages et aux événements dont il se veut un simple témoin. Seulement, à écouter attentivement cette voix narrative ou cette «voix de papier», on ne pourrait ne pas y soupçonner, ou même appréhender, une tacite affectivitivité qui transparaît, de temps à autre, au travers de cette «neutralité» apparente ou feinte cherchant à cacher l'intérêt particulier de l'auteure pour ces deux cheikhs qui semblent lui tenir à cœur et qu'elle aurait peut-être puisés dans son histoire personnelle en préférant brouiller les pistes et dissimuler les traces, par pudeur. En effet, nous inclinons à penser que ce roman cache dans sa «génétique» quelque chose de bien personnel et que l'auteure parle de cheikhs qui lui étaient familiers ou proches, qu'elle ne connaissait que trop et dont elle connaissait même le langage quotidien (toutes ces expressions, tournures et dictons arabes qu'elle introduit dans son texte en les traduisant en français littéralement et en les écrivant en italique et qui révèlent une part de la subjectivité enfouie dans la narration), et qui seraient, pourquoi pas ses propres grands-pères ou oncles ayant peut-être profondément marqué son enfance et dont elle tait délibérément les noms, par discrétion. Et il y aurait alors dans ce roman comme un hommage rendu, implicitement, à leurs mémoires respectives, par-delà l'histoire décisive de cette époque. Mais là, il n' y a aucun mal, bien au contraire, il y a l'indice d'une habile manœuvre littéraire permettant d'investir dans la création romanesque des souvenirs personnels ou des images obsédantes, tout en échappant à l'écriture ouvertement autobiographique que l'auteure a sabotée délibérément en métamorphosant les «confidences» que ces deux cheikhs sont censés avoir faites (cf- le titre du roman) en un discours narratif aux troisièmes personnes (« Il » et « Ils ») où ces deux personnages ne sont pas narrateurs, mais narrés et ne deviennent sujets qu'à travers de rares séquences dialogales souvent très courtes ou leur discours intérieur rapporté par le narrateur («Que faire ? Informer son frère ? Ramener son neveu chez ses parents ? Ou patienter encore ? Laisser la chose dans la main de Dieu ? Sa Rahma est vaste», p. 55. «Que serais-je devenu si j'étais resté en tête à tête avec la Maréchale ? » p. 209) dans sa longue narration linéaire, régulièrement ponctuée par des pauses se situant entre les 28 chapitres qui composent ce roman et auxquels l'auteure aime à donner différents titres afin de mieux marquer ces pauses et aiguiser ainsi l'impatience du lecteur qu'elle parvient à tenir en haleine. Tout dans ce roman de Monia Mouakhar-Kallel coule tel « un long fleuve tranquille » : le temps de la vie simple de ces deux cheikhs comme la narration et comme aussi la langue que l'auteure manie avec une maîtrise, une clarté et une élégance remarquables, dignes d'une spécialiste universitaire de littérature française. Ni trop longues ni trop courtes, les phrases de ce texte, jamais alambiquées ni lourdes, sont très souvent bien charpentées qui suivent un rythme soutenu et régulièrement marqué par une variation ponctuative bien maîtrisée. De ces phrases et de quelques mises en relief, ellipses, parataxes ou encore interrogations et exclamations, sort une écriture d'une souplesse radieuse, très bienvenue, qu'on lit non sans beaucoup de plaisir.
Monia Kallel, «Cheikhs en confidences», Tunis, éditions «Arabesques», 2020, 220 pages.
-Monia Mouakhar-Kallel est professeur de l'enseignement supérieur et chercheuse en littérature françaises à l'Université de Tunis. «Cheikhs en confidences» est son premier roman.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.