Vient de paraitre un nouveau roman « Cheikh en confidences » de Monia Mouakhar Kallel aux Editions Arabesques, 2020. C'est un roman qui a comme toile de fond la Tunisie à la veille de l'indépendance. « Cheikhs en confidences » pourrait être considéré comme étant un roman historique, dans la mesure où les événements relatés se situent à une époque déterminée de l'histoire de la Tunisie, les années 50, à la veille de l'indépendance. Il ne s'agit pas d'un compte-rendu ou d'une analyse systématique, ni encore d'une relecture de l'histoire de cette époque, loin s'en faut, mais les faits et les personnages, évoluant dans ce cadre historique, sont influencés d'une manière ou d'une autre par le contexte de l'époque. Situé à la frontière entre la fiction et la réalité, ce roman a la particularité de s'appuyer sur un cadre historique réel sur lequel la romancière s'est manifestement bien documentée, pour tramer son histoire et créer ses personnages. C'est un moment charnière de l'histoire de la Tunisie, plus précisément du mouvement national : l'action se situe à une époque où l'on va passer de l'étape colonialiste à l'étape de l'indépendance du pays, relais qui influe sur les comportements des gens, sur leurs attitudes, sur leurs opinions et sur leurs actes. C'est un roman volumineux qui comporte 218 pages, divisé en plusieurs chapitres titrés. A travers les faits, les jeunes lecteurs d'aujourd'hui, ignorant peut-être cette période cruciale de l'histoire de leur pays, peuvent la (re)vivre en se mettant dans la peau de chacun des personnages. A vrai dire, il s'agit d'un récit qui relate la vie des personnages ayant vécu dans cette période et qui se distinguent surtout par leurs caractères, leurs mentalités, leurs valeurs, leurs actions, leurs rêves et leurs idées. Quoique les personnages soient réels et les faits véridiques, suite à une recherche documentaire importante effectuée par l'auteure, il y a cependant une grande part de fiction, notamment au niveau des rapports entre les personnages et ceux que ces derniers entretiennent avec leurs milieux et les circonstances. Plusieurs thèmes sont abordés dans ce roman : la vie sociale, les liens familiaux, la vision des choses, l'appartenance à la terre, l'identité, l'ouverture sur la modernité, l'atavisme et la nostalgie du passé. Les personnages incarnent des valeurs et des idées différentes, parfois diamétralement opposées. Et c'est justement cette différence qui va intéresser le lecteur. Plusieurs scènes et événements de ce roman sont vraisemblables et nous plongeront dans les années 50 de l'histoire de Tunisie. Le lecteur est séduit par sa richesse qui entremêle aventure, passion, superstition, préjugés, mœurs et valeurs de cette époque tourmentée... Ce roman se situe dans la pure tradition du roman de terroir (Sfax et ses quartiers) et des sagas (histoires des familles des deux cheikhs et leurs rapports). Il renoue avec nos traditions, invitant le lecteur à suivre les destinées émouvantes de personnages assez différents dont chacun est accroché à ses propres idées, qu'elles soient progressistes ou conservatrices, modernistes ou rétrogrades. Aussi peut-on le résumer en ces termes empruntés à Arselène Ben Farhat : « Ce magnifique roman est une belle œuvre qui établit un jeu d'échos entre un passé marqué par le présent et un présent contaminé par le passé. Mais aussi entre la voix d'un conservateur qui pense avoir tout compris de la vie et la voix d'un progressiste en quête du sens de la vie, entre une ville ancrée dans l'histoire d'une famille, d'un peuple et un pays à la recherche de son identité.» J'ajouterai que c'est un beau roman qui ne laisse pas indifférent et qui, de ce fait, pousse à la réflexion sur la condition féminine d'avant l'indépendance : faut-il que la fille fréquente l'école ou reste au foyer ? Dans ce roman où le récit est à la 3è personne, la narratrice semble être omnisciente, omniprésente dans toutes les étapes. C'est qu'elle se trouve partout et à tout moment, connaît tout sur ses personnages jusqu'aux moindres détails, suit leurs mouvements, leurs réactions en entrant jusque dans leurs pensées, leurs sentiments et leurs projets, connaissant parfaitement leur présent, leur passé et même leur avenir. Donc, ce roman s'inscrit dans la démarche romanesque balzacienne qui, d'ailleurs, accroche le lecteur du début jusqu'à la fin des événements. La belle plume de la romancière peut sans doute nous flatter à travers ses belles descriptions et son style narratif élégant et puissant. De plus, les expressions en dialecte tunisien (proverbes, adages populaires...) rajoutent un zest de tunisianité à l'ensemble de la narration, ce qui nous rappelle les ambiances dans les familles traditionnelles du terroir. H.K