Le suicide de Ridha Yahyaoui a déclenché une vague de protestations collectives violentes. L'évolution aussi bien quantitative que qualitative des mouvements sociaux de protestation a été anticipée, à maintes reprises, par les membres du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) et ce, en raison de la persistance des problèmes et des lacunes d'ordre social, économique, sécuritaire et politique. Le suicide et les tentatives de suicide ne cessent de prendre de l'ampleur dans une société en mal de vivre, au point que mettre fin à ses jours revêt, de plus en plus, un caractère théâtral, voire héroïque. Faire pression sur les autorités (politiques, administratives, familiales, parentales) quitte à perdre sa vie. Examinant comme à l'accoutumée ces mouvements de protestation collectifs et autres individuels, l'Observatoire social tunisien (OST) relevant du (Ftdes) a organisé, hier, à son siège à Tunis, un point de presse pour présenter les rapports sur ces mouvements pour la période allant de décembre 2014 à janvier 2015. La rencontre a été aussi l'occasion pour présenter le rapport sur le suicide et les tentatives de suicide pour l'année 2015. Ouvrant le point de presse, M. Abderrahmen Hedhili, membre du Ftdes, a rappelé le caractère prévisible de l'évolution des mouvements sociaux en cette période charnière 2015/ 2016. Un autre «Bouazizi» s'est éteint... En décembre 2015, quelque 534 mouvements de protestation ont été observés, justifiant une certaine évolution par rapport aux mouvements notés en novembre. Un mois après, les observateurs constatent un nombre record de mouvements de protestation : soit 1.521 en janvier 2016. Selon le rapport du Ftdes de janvier 2016, ces mobilisations ont été déclenchées suite au suicide de Ridha Yahyaoui sur une place publique à Kasserine pour exprimer son indignation et son refus quant à l'injustice qui lui a été infligée. Ce jeune — ou le nouveau Mohamed Bouazizi — n'a pas pu supporter le retrait de son nom de la liste des recrutements. Son décès a eu lieu le 17 janvier ; un véritable écho du suicide par immolation de Bouazizi le 17 décembre 2010. Des mouvements de plus en plus violents La mort de Ridha Yahyaoui figure parmi les 4% des protestations individuelles enregistrées en janvier 2016 et le principal catalyseur de 96% des mouvements collectifs. En effet, des manifestations et des actes de protestation ont été menés à Kasserine, mais aussi à Gafsa, à Sidi Bouzid et à Tunis pour se propager, sitôt, dans quasiment toutes les régions. M. Abdessattar Sahbani, sociologue et membre de l'OST, souligne le recours voulu et évolutif aux mouvements de protestation anarchiques, voire violents. Ces derniers représentent 51,75% des mouvements de protestation collectifs observés en janvier 2016. Le secteur politique : le dernier souci des protestataires ! Par ailleurs, la répartition sectorielle des mouvements observés au début de cette année placent le secteur éducatif au premier plan. Malgré les signes de mécontentement signifiés par le cadre éducatif, les parents et même par les élèves, le secteur éducatif ne parvient toujours pas à se délester des points de litige et à fixer une stratégie claire et salvatrice à même de rassurer les Tunisiens sur l'avenir des jeunes générations. Il est suivi des secteurs social, administratif, économique et sécuritaire. «Le secteur politique figure en bas de la liste des préoccupations des Tunisiens. D'ailleurs, insiste le sociologue, les mouvements collectifs observés relèvent, tous, d'une mobilisation purement sociale. Aucun parti politique, ni ONG n'ont participé à ces actions». Encore est-il intéressant de souligner que pour ce qui est des mouvements de protestations relatifs à décembre 2015, l'on compte 144 mouvements instantanés, 194 spontanés et 143 violents. Ceux individuels correspondent à 10,7% des mouvements. Certes, l'OST cite plusieurs formes de protestations individuelles, notamment la demande de retrait de la nationalité tunisienne d'un jeune à qui l'on a refusé une autorisation de bâtir sur une propriété familiale située dans une zone verte, ou encore la grève de la faim d'une femme qui n'a pas réussi à obtenir une autorisation pour un projet commercial. Cependant, la plus violente et la plus imposante des formes de protestations individuelles restent, indéniablement, la mort préméditée : le suicide et les tentatives de suicide. La vague suicidaire va crescendo En décembre 2015, quelque 47 cas de suicides et de tentatives de suicide ont été déclarés dans 14 gouvernorats. Parmi lesquels, huit enfants suicidés et deux séniors. En janvier 2016, la courbe va crescendo avec 56 cas de suicide et de tentative de suicide dont sept enfants âgés de moins de 15 ans et un sénior. M. Sahbani indique que la vague suicidaire touche plus les hommes (46 suicidés) que les femmes (dix suicidées). Encore faut-il rappeler que les jeunes âgés entre 26 et 35 ans semblent moins aptes à surmonter leur mal-être. Ils comptent 22 cas de l'ensemble des 56 suicidés. Examinant de plus près l'évolution de la vague suicidaire en Tunisie relative à 2015, l'OST montre que le syndrome de Bouazizi suit une courbe croissante, car nourri par les problèmes sociaux, économiques et de développement. En 2015, quelque 540 cas de suicide et de tentative de suicide ont été enregistrés, contre 372 en 2014. Kairouan continue à être marquée par le plus grand taux de suicides, à savoir 16,21%. Elle est suivie de Bizerte avec 12,93% et Gafsa 11,11%. «Ces chiffres ne prennent évidemment pas compte du nombre de tentatives de suicide non déclarées. Cela dit, et selon les études internationales, à un cas de suicide correspond généralement huit cas de tentative de suicides. Le nombre estimatif relatif à 2014 serait probablement de l'ordre de 2.976 cas de suicide et de tentative de suicide», fait remarquer le sociologue.