Nous sommes en 1965. Bourguiba, visionnaire éprouvé, entreprend de consolider les relations de son pays avec l'Afrique émergente et notamment avec ses amis, Senghor au Sénégal et Houphouet Boigny en Côte d'Ivoire. Il aura fallu près de 50 ans pour que l'on s'avise qu'il avait raison. Tahar Belkhodja, multi-ambassadeur accrédité auprès de huit pays africains, est chargé de lui organiser un périple. Tout en tenant compte des appréhensions et des réticences, dans un contexte politique hasardeux. Bourguiba éprouvait un grand respect pour Mokhtar Ould Daddah. Dans un contexte tendu de géopolitique opposant Hassen II qui prônait un Maroc allant de l'Atlantique au fleuve Sénégal et De Gaulle qui, militait pour une Mauritanie indépendante dans le cadre d'une communauté franco-africaine regroupant toutes les anciennes colonies, Bourguiba avait soutenu Ould Daddah. C'est donc par la Mauritanie, admise au sein des Nations unies grâce à un parrainage franco-tunisien, qu'allait commencer le voyage. Voyage qui se déroula relativement bien : programme bien ficelé, mais une ambiance pas aussi chaleureuse que l'on pouvait espérer. Les diplomates ayant un sixième sens pour ce genre de choses, on décela une certaine réserve, inhabituelle dans ces contrées amies. Enquête et renseignements discrètement pris, on comprit le fin mot de l'Histoire. De Gaulle, qui avait pris ombrage de la nationalisation des terres agricoles, communiqua cet ombrage à ses amis alliés africains qui surent réserve garder. C'était mal connaître son adversaire. Bourguiba invita Jean-François Deniau, ambassadeur de France à Nouakchott, déploya tous ses charmes, chantant son estime pour le général de Gaulle sur toutes les partitions, et sa confiance dans le devenir des deux pays. Séduit, l'ambassadeur prit le premier avion pour Paris pour faire le plus élogieux des rapports. Et quand Bourguiba arriva au Sénégal, consignes avaient été données pour que l'accueil fut triomphal, ainsi que tout au long du périple. Il fallait marquer ce voyage par une pierre blanche, et créer l'événement : un événement qui devait constituer la clé de la visite et s'inscrire dans l'Histoire. Qu'est-ce qui pouvait unir deux grands hommes comme Bourguiba et Senghor, et qu'avaient-ils en partage ? Leur appartenance à un même continent, bien sûr, leur vision, leur rôle d'homme providentiel évidemment, mais d'abord la langue qui leur permettait, au-delà de leurs différences, de communiquer. Ce fut, autour de la francophonie, instrument culturel avant que de devenir politique et économique, que les deux sages de l'Afrique décidèrent de fédérer. De Gaulle n'en serait que le parrain, évitant ainsi de se voir taxer de néocolonialisme. Les deux ambassadeurs passèrent la nuit à réécrire les discours que devaient prononcer les deux chefs d'Etat à l'université de Dakar. C'est ce jour-là que naquit la francophonie que nous célébrerons bientôt à Djerba.