On parle toujours du terrorisme, de ses auteurs et de ses victimes, mais presque jamais de son filon et des circuits mafieux de son financement. De quoi nourrir ce phénomène rampant et monstrueux? Comment survit-il dans les zones de non-droit? Pourquoi est-il ainsi incontrôlable, sévissant dans l'impunité totale ? La réponse s'impose dans cette chasse à l'homme continue. Il importe, ici, de mieux cerner le problème, afin de bien comprendre le rapport de causalité, loin de toute improvisation sécuritaire. Car, terrorisme et financement sont deux faces d'une seule pièce. L'un provoque l'autre, d'autant qu'une guerre censée être non traditionnelle ne pourrait être gagnée aussi facilement qu'on le pense. Contre un ennemi invisible, aux mains coupables souillées du sang des innocents, tous les moyens de lutte sont bons. Il est temps d'aller l'attaquer jusque dans ses caches, plus souvent, protégées par des complices plus forts que lui-même. Formation des formateurs, et après ? En tout état de cause, l'on se voit, alors, mener une guerre sur deux fronts, contre l'hydre terroriste et ses « bailleurs de fonds » qui sont les barons de tout trafic illicite. De la contrebande au crime organisé, passant par le blanchiment d'argent, ainsi s'affiche le vrai visage de la nébuleuse terroriste. Cette plaque tournante de tous les risques ne fait que produire un commun des malheurs. Dans tous les cas de figure, tout crime terroriste ne semble pas sortir de ces sentiers battus. Il ne peut se décider et être planifié que dans l'antichambre des circuits financiers. De fait, prête-noms, faux comptes ou sociétés-écran ne sont que des manœuvres terroristes en trompe-l'œil. Autant dire la partie invisible de l'iceberg. L'ultime but est de trouver refuge dans la société, sans que personne ne puisse les repérer. La guerre anti-terrorisme paraît si complexe qu'elle doit viser, préalablement, ses racines belliqueuses et la source nourricière de l'extrémisme. Tant et si bien que le financement demeure plus dangereux que l'acte criminel lui-même. Pour toutes ces raisons, une mobilisation citoyenne est de mise. Que faire ? L'Institut supérieur de la magistrature (ISM) a commencé à couler dans le moule et faire en sorte que ses juges enseignants soient au diapason de ce qui se déroule en arrière-plan du crime terroriste. L'intérêt qui lui a été accordé pour mieux en connaître les ficelles s'est illustré par l'organisation, en partenariat avec l'Office des Nations-unies contre la drogue et le crime (Unodc) d'une formation judiciaire dispensée, au cours du premier semestre 2015, au profit de quelque 18 magistrats, lesquels devenus, à leur tour, des formateurs censés passer le relais à presque deux mille professionnels dont dispose la profession. Pôle judiciaire, quel poids ? Un complément d'enquêtes, en quelque sorte, fourni sur l'intégrité et l'éthique morale, l'entraide judiciaire, le blanchiment d'argent, la traite des personnes, la cybercriminalité et le crime organisé. Six modules pédagogiques et rédactionnels perçus comme nécessaires à la lutte contre le financement du terrorisme. L'objectif, selon le directeur de l'ISM, le juge Mohamed Tahar Hamdi, est de renforcer le rôle des magistrats tunisiens et enrichir leur savoir-faire en la matière. S'y ajoute, de surcroît, dit-il, la fameuse loi antiterrorisme, promulguée en août 2015. Adoptée suite à un long débat polémique, cette loi s'inscrit, à ses dires, dans le droit fil d'un chantier de réforme judiciaire qui devrait répondre au mieux aux nouveaux défis de l'étape post-révolution. Pour l'Unodc, la loi en question se présente comme l'un des instruments juridiques les plus appropriés face au crime organisé. De par sa complexité, le financement du terrorisme, comme l'indique le directeur de l'ISM, nous commande de l'aborder sous différents angles. Dans sa pluralité, autrement dit. En vertu du code pénal, tout financement suspect direct ou indirect est considéré en tant que crime prémédité passible d'une peine. De même, la loi d'août 2015 stipule que la source d'argent soupçonnée de financer des actes terroristes est tenue pour coupable, et qu'il faut la juger au même titre que l'exécutant et ses complices. Mais, procéder à la traque des magnats de la finance pour repérer les pistes des criminels, c'est la croix et la bannière. Ainsi, que faut-il ajouter à la loi ? Y a-t-il un exercice judiciaire spécifique à cet effet ? Un effort d'appoint, si l'on peut dire. A ce propos, le juge Hamdi a fait état de la plus-value qu'apporte, déjà, la nouvelle loi antiterrorisme, celle d'un pôle judiciaire spécialisé. Ce dernier lui a été confié, depuis sa naissance au forceps, la charge des affaires à caractère terroriste. Après une formation qualifiée de poussée, son effectif, qui se compte sur les doigts d'une seule main, et au premier rang duquel des juges d'instruction bien confirmés, s'est trouvé face à plus de 1.500 dossiers à traiter. Soit, plus de 100 affaires pour chaque magistrat. « Dans un contexte encore mouvementé, où la criminalité est d'autant plus complexe qu'on ne peut l'identifier facilement, la lutte anti-terrorisme doit se faire sur plusieurs front», réplique-t-il. Mais, comment aller battre pareil ennemi à plusieurs visages, discret et prêt à mourir, sans être sur la défensive, ni mettre en avant une stratégie offensive? En guerre, tout se conjugue pour remporter la bataille. A preuve, comme le dénonce, d'ailleurs, l'Association des magistrats tunisiens (AMT), « avec un tel pôle en panne d'effectif et de moyens, coincé entre l'enclume des sécuritaires et le marteau des médias, à quels résultats pourrait-on s'attendre?» La source nourricière Face à la prolifération des crimes organisés aux multiples circuits plongeant dans l'opacité et la discrétion, l'anti-terrorisme revêt, ici, un aspect plutôt vaseux. Cela dit, l'on doit agir en connaissance de cause. Il y a là raison d'en parler étant donné que l'acte perpétré n'est que la résultante de l'acteur manipulateur. Par des fonds détournés notamment. Cela s'appelle le blanchiment d'argent servant à financer des crimes pour moult intérêts calculés. L'argent sale vient, également, d'autres sources, à savoir la contrebande, le trafic d'armes et de drogue, la traite des personnes et bien d'autres réseaux mafieux capables de tout, à leurs risques et périls. Il vient aussi des associations dites caritatives dont certaines font écran à des placements odieux aux buts inconnus. De la charité qui tue ! De ce fait, une guerre a priori s'impose pour éradiquer le mal à la source, avant qu'il ne prenne de l'ampleur. S'attaquer doublement au terrorisme et aux barons de son financement exige, d'après l'Unodc, une mobilisation communautaire, à travers une coopération solide basée sur le partage des bonnes pratiques en matière d'enquête judiciaire. Il y a, quand même, d'autres mécanismes législatifs servant comme des garde-fous. Outre les conventions antiterrorisme de 1999, le Conseil de sécurité international et les instances financières contre le blanchiment d'argent, la Tunisie dispose de certaines procédures judiciaires et de contrôle des financements suspects. Il s'agit, entre autres, de la commission d'analyses financières relevant de la Banque centrale, du contrôle des comptes et opérations bancaires. Volet judiciaire, il y a le ministère public, l'enquête judiciaire, les tribunaux et la commission nationale de lutte contre le terrorisme. Toutefois, cette plateforme stratégique semble manquer d'opérationnalité et de bonne volonté politique pour pouvoir porter ses fruits. Sinon, comment expliquer que le phénomène terroriste gagne encore du terrain et que ses auteurs reconnus courent toujours, dans l'impunité totale.