Le téléspectateur est de plus en plus exposé à des cas sociaux atypiques, à un registre de langue indécent pour le maintenir en haleine... Plus ils mettent à nu les cas sociaux, plus ils assurent un audimat important. Les programmes de téléréalité ont bien dépassé l'aspect d'un phénomène à la mode, de nouveauté audiovisuelle pour devenir une tradition à laquelle tiennent certaines chaînes télévisées. Les animateurs et les réalisateurs desdits programmes puisent, en effet, dans la complexité du relationnel, dans l'intimité des gens, de leur spontanéité souvent godiche, et de leur simplicité d'esprit pour attirer l'attention du public, le maintenir en haleine et lui permettre de vivre, en live, les querelles, les coups de gueule, les déclaration d'amour et les hommages les plus émouvants. Devenus un point fort de la télé moderne, dans ce qu'elle a d'ailleurs de plus commercial, ces programmes obéissent-ils pour autant à l'éthique journalistique ? Sont-ils contraires ou conformes aux règles de la bienséance ? Quelle en est l'utilité ? Et quels sont les dépassements susceptibles d'être pénalisés ? Selon M. Riadh Ferjani, sociologue des médias à l'université de La Manouba, il n'est point logique d'évaluer les programmes de téléréalité en se référant à l'éthique journalistique pour une raison toute simple : ce genre de programme ne relève aucunement du travail journalistique. «Ce sont des programmes d'animation et l'animation ne relève pas du journalisme. D'ailleurs, tout ce qui passe dans les médias n'est pas forcément journalistique et ne peut, par conséquent, être soumis à la déontologie journalistique», explique le spécialiste. Et même si l'on a tendance à penser que ces programmes servent une cause sociale — puisqu'il y est souvent question de résoudre des conflits conjugaux, de réconcilier les membres de familles disloquées, de mettre l'accent sur l'égarement des jeunes dépourvus de tout encadrement paternel et d'un appui financier à même de préserver leur dignité et de leur éviter de succomber aux comportements à risque — ces programmes sont loin d'être des programmes sociaux. C'est du moins ce que juge le sociologue : «Ces programmes proposent des scènes sociales "décevantes", dans la mesure où ils montrent des cas non représentatifs de la société tunisienne, car atypiques. Ces cas sont exposés sans analyse ni étude. Du coup, l'on a droit à des émissions de variété qui usent du sensationnel pour enregistrer un taux d'audience élevé et rien de plus», explique-t-il. Les outils du marketing audiovisuel L'indécence est devenue la principale devise des animations de téléréalité. Pourtant, et malgré la dépréciation de certains quant aux dépassements verbaux véhiculés via les programmes de téléréalité, cela ne diminue en rien leur taux d'audimat. «Là encore, estime M. Ferjani, le choix du registre linguistique rejoint le concept et s'inscrit dans le souci de commercialisation et de marketing utilisés par les chaînes télévisées. Cela dit, les règles de la bienséance en tant que morale dominante ne constituent point la clef à même de nous permettre de comprendre ces programmes-là». En revanche, ce qui est condamnable, dans les programmes de téléréalité, c'est le recours inadmissible à la violence verbale et la diffusion des messages de stigmatisation et de haine. «Dans de pareils cas, le décret-loi 116 et plus exactement l'article 5 sont applicables afin de pénaliser les dépassements», souligne le spécialiste.