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La course à l'audimat
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000


Par Chedly Bel Hadj NACEUR
Pour comprendre cet épiphénomène nouveau qu'est la course vers l'audimat apparu en Tunisie avec le lancement de chaînes TV privées, il faut remonter à l'histoire récente et aux bouleversements qu'a connus le monde ces trente dernières années.
Après la dissolution de l'Union soviétique en décembre 1991 entraînant l'indépendance des 15 Républiques socialistes qui la composaient, précédée par des signes annonciateurs comme la constitution en août 1980 du premier syndicat indépendant ‘'Solidarnosc'' en Pologne, mais aussi première étape du démantèlement du monopole du parti communiste dans une république socialiste se trouvant dans le giron de l'Urss, la succession du pouvoir en Union soviétique de Leonid Brejnev en 1982 au profit de Youri Andropov qui s'est montré soucieux de réformer le modèle soviétique afin qu'il ne devienne pas obsolète et finisse par disparaître, et à l'origine de nouvelles politiques, la ‘'Perestroïka'' (restructuration) et la ‘'Glasnost'' (transparence) mises en place par Gorbatchev en 1985 mais suspendues par la frange des ‘'communistes orthodoxes'', caciques du Parti arc-boutés à leurs souvenirs et surtout à leurs privilèges qui tentèrent un putsch avorté en août 1991, donnant ainsi prétexte à leurs adversaires, Boris Eltsine, alors maire de Moscou, en tête, pour déclarer l'éclatement précité de l'Union et enfin avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989 et la réunification des deux Allemagne, c'en était fini du communisme, ce système utopique instauré par la Révolution russe de 1917 qui n'a pas réussi à assurer l'égalité parfaite et la prospérité promise à toutes les composantes de la nation russe et aux pays ‘'satellites''.
Dans la foulée, ces pays satellites, appelés Républiques socialistes, se démarquèrent de l'Union et retrouvèrent leur totale souveraineté. Ainsi en est-il de la Roumanie, après le renversement et la mort du président Ceausescu suite à un procès de ‘'façade'', de la Pologne, déjà quasi indépendante, de la Hongrie, de la Bulgarie alors que la Tchécoslovaquie fut disjointe en deux et que la Yougoslavie, quelques années plus tard, fut démembrée en 6 nouvelles Républiques.
Notons enfin que ce souffle de démantèlement, de démembrement et d'indépendance créa des émules à l'intérieur de la Fédération de Russie qui remplaça l'Union (Moldavie qui obtint son indépendance et rejoint l'Europe, Tchétchénie, Mongolie, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan, Azerbaïdjan, Nagano Karabakh, etc.) et renforça le courant nationaliste presque partout dans le monde qui continue à ce jour (Catalogne, Ecosse, Corse, etc.).
Les effets de la mondialisation
Comme il ne restait plus qu'une seule super puissance mondiale, qu'un seul ‘'patron‘' sur terre, la période de guerre froide était supposée révolue à jamais mais, en même temps, le chemin était libre pour les Etats-Unis d'Amérique, forts de leur nouveau ‘'leadership'' mondial, pour s'engouffrer dans la brèche et créer une nouvelle stratégie, imposer leurs stratégies et politiques, leurs visions et leurs programmes, comme leur nouveau système comptable, leurs normes de la qualité, leur langue, la lutte contre la drogue, le secret et les fraudes bancaires, l'évasion fiscale et autres priorités, dans le cadre du «nouvel ordre mondial» de G. Bush père, vite rebaptisé à cause de sa connotation ‘'impérialiste'', «mondialisation» ou «globalisation» plus faciles à ‘'digérer''.
La ‘'mondialisation'' préconise et engendre aussi l'ouverture des frontières terrestres mais aussi aériennes et le bannissement des barrières douanières. Grâce aux Ntic et les bouleversements technologique, notamment la connexion interplanétaire des réseaux (internet), la communication et la couverture par GPS, la transmission par satellite et par fibre optique, et mille et une applications ‘'intelligentes'' utilisant le numérique, l'électronique et l'informatique qui s'ensuivirent, rien ne pouvait plus faire barrage à l'envahissement de l'espace audiovisuel tunisien. Il suffit d'un clic sur un ordinateur ou une touche sur un téléphone portable numérisé pour entrer en contact avec n'importe qui dans le monde entier, voir des images, des vidéos, des films, consulter des dossiers, des informations et des fichiers sur n'importe quel sujet. Les grandes chaînes de télévision ne furent pas en reste et arrivèrent facilement à diffuser leurs programmes à travers l'univers. Qui ne connaît pas CNN, BBC ou ‘'Al Jazira'' ? La Tunisie se retrouva définitivement ouverte au monde bien malgré elle et ses dirigeants frileux et allergiques aux changements.
Pour nombre de pays dits en voie de développement comme la Tunisie, il fallait suivre ou ‘'sombrer corps et âme''. Les style et mode de vie, la culture et peu à peu la perception et l'analyse des choses sont devenus influencés et menacés par l'intrusion irrésistible des chaînes de télévision et de l'internet qui ne véhiculent malheureusement pas toujours que du positif sur tous les aspects de nos vies quotidienne et privée car il ne faut pas oublier que la TV est un des principaux vecteurs de la mode (l'habillement, la coupe de cheveux, le ‘'look'', la musique, les voitures, la cuisine rapide, etc.)
Cette question importante mérite une étude à part. Certains disaient que nous vivions ‘'à l'heure de Paris''. On peut y ajouter et de ‘'la culture occidentale'', américaine en premier lieu, aussi au risque de perdre, surtout les jeunes, notre propre culture.
Pendant presque cinquante ans, il n'y eut en Tunisie qu'une seule et ensuite une deuxième chaîne de TV avec une chaîne italienne (RAI 1) qui fonctionnait avant le démarrage de la TV nationale et ensuite une autre française (Antenne 2 devenue France 2). Comme les deux chaînes étaient publiques et avaient le même PDG, il n'y avait aucune concurrence entre elles, la deuxième servant de complément à la première, et leur premier souci, même s'il y avait de temps à autre des programmes intéressants destinés au public comme les feuilletons et les variétés, était la satisfaction du pouvoir qu'il ne fallait pas ‘'titiller'' et encore moins critiquer, auquel il ne faisait pas bon déplaire et dont elles étaient en fin de compte un outil très efficace de propagande.
Après de longues tergiversations faciles à comprendre en raison de la nature et des soucis prioritaires des régimes d'avant la Révolution, finalement écartés par la peur de ternir l'image externe qu'ils tenaient à donner d'autant que d'autres arabes pays comme l'Egypte, depuis belle lurette, et ceux du Golfe avaient permis le lancement de chaînes TV privées, la Tunisie sauta le pas.
L'ouverture du paysage audiovisuel tunisien
Aujourd'hui, le PAT (paysage audiovisuel tunisien) s'est enrichi de quelques chaînes privées dont le nombre oscille entre 7 et 12, en fonction des règles, de l'humeur disent ses détracteurs, posées par la structure chargée de régir le secteur (la Haica), l'équivalent de la CSA en France.
Ce fut d‘abord les chaînes ‘'Hannibal'', ‘'El Hiwar'', ‘'Nessma TV''puis ‘' Ettounssia'', et ensuite, après la Révolution, ‘'Ezzitouna'', ‘'El Jandoubiya'', ‘' Tounisna'', ‘'Telvza TV'', ‘'El Moutawassat'', ‘'TNN'', ‘'First TV'' et peut-être d'autres dont quelques-unes doivent encore régulariser leur situation.
La radio n'est pas restée en reste et plusieurs stations, essentiellement régionales, fondées par des particuliers, ont vu le jour depuis la Révolution et leur nombre continue de croître.
Sans atteindre les sommets, la qualité technique des programmes, notamment ceux des deux chaînes publiques, s'est améliorée ainsi que leur teneur. On crée, on achète, on reprend, on réadapte...
Bien entendu, la télévision ne présente pas que des émissions à caractère culturel ou éducatif mais aussi des émissions — en direct (‘'live‘') ou enregistrées — sportives, religieuses, politiques, d'informations, de jeux, d'animation, de variétés, des ‘'talk-shows'', des documentaires et des reportages de toute nature, des films, des fictions, etc.
La solution, la finalité et l'objectif se confondent dans une même et unique alternative: réaliser des émissions qui retiennent et fidélisent les téléspectateurs. Les voies pour ce faire sont claires : soit se spécialiser dans un secteur : le sport avec ses diverses activités comme aux Etats-Unis, l'information, les variétés, la musique avec tous ses genres, l'histoire, la géographie, la cuisine, les affaires judiciaires, etc. Soit, faute de moyens et surtout faute de ‘'marché'' assez large pour assurer une audience rentable, comme en Tunisie, devenir une chaîne généraliste qui, comme son nom l'indique, présente des programmes de tous genres susceptibles d'être suivis par l'ensemble de la population et le téléspectateur ''moyen'' dans le sens de ‘'commun'' sans risque d'exclure quiconque. Mais le problème n'est pas résolu pour autant.
Dans le monde du luxe (bijouterie, haute couture, arts), il faut beaucoup d'argent pour réaliser de belles œuvres et encore moins des chefs-d'œuvre, sauf cas exceptionnel. Cela est encore plus vrai dans le monde de la télévision qui se rapproche de celui du cinéma, grand vorace d'argent frais. Hélas, dans notre pays, la culture ne figure plus, comme au début de l'Indépendance, parmi les priorités, après l'éducation, de l'Etat si tant est que la TV peut être considérée comme un outil de véhiculer et promouvoir la culture ou, soyons francs, un moyen pour les chaînes privées, loin d'être des sociétés de bienfaisance ou de bénévolat, de se ‘'sucrer'' sur le dos des téléspectateurs et au nom de la culture. Le mécénat et le sponsoring ne sont pas légion en Tunisie.
Aujourd'hui, à part quelques rares grosses sociétés qui veuillent bien subventionner des manifestations ponctuelles ou, fait encore plus rare, quelques concours ou des prix destinés aux lauréats de ces concours, on ne peut que constater et regretter l'absence de prise en charge, fût-elle partielle, de la création artistique dans notre pays.
Reste à résoudre l'équation principale : où trouver les moyens pour réaliser des émissions captivantes et existe-t-il des critères pour retenir le plus de téléspectateurs ?
Si la réponse à la première question réside dans la recherche de l'argent nécessaire qui, en l'absence de fonds propres, ne se trouve que chez ceux qui ont en : les sociétés commerciales et les banques et en particulier les plus grosses d'entre elles qui ont besoin de faire connaître leurs gammes de produits ou de services pour améliorer leur rentabilité et qui, pour ce faire, ont recours à une vaste publicité sur les multiples moyens de ‘'com'', les médias et en particulier la télévision qui reste le meilleur moyen d'arriver à la clientèle cible en pénétrant sans crier gare dans les foyers et partout où se rassemblent les gens, surtout les jeunes, pour suivre leurs émissions préférées, les cafés en Tunisie. A côté de la TV, il ne faut pas oublier l'internet qui a commencé à la concurrencer et à s'imposer comme outil de publicité et même de vente à distance.
Quant aux critères ou paramètres pour boucler une émission capable d'attirer le public, ne cherchez pas à dresser une liste : tout est permis et souvent au détriment de la qualité.
En vérité, les deux questions sont intimement liées : pour réaliser de bonnes émissions, il faut la plupart du temps un gros budget et de gros moyens techniques. L'inverse est aussi vrai : avec de grosses possibilités, on a plus de chances de faire des programmes intéressants. Les deux faces d'une même pièce.
Après les grands feuilletons, voilà le temps des ‘'téléréalités''
Au temps des grands feuilletons américains comme ‘'Dallas'' et ‘'Dynasty'', il était admis que la recette du succès était aussi simple qu'efficace et qu'il suffisait d'associer quelques ‘'ingrédients'' (comme en cuisine) infaillibles : de belles créatures, des voitures et des résidences de luxe, avec au moins un ou des ‘'méchants'' comme vedettes et des trames et des intrigues accessibles à n'en plus finir pour retenir pendant des années si ce n'est des décennies des téléspectateurs devenus des ‘'fanatiques'' de l'émission et de ses vedettes et ‘'stars''. D'ailleurs, le terme de ‘'starification'' s'est imposé depuis cette époque, même si les vedettes existaient depuis bien avant.
Mais chaque chose a une fin et devant le découplement des ‘'séries'' style ‘'Dallas'', le succès a commencé à s'effriter, les principaux acteurs et actrices ayant eux-mêmes vieilli et parfois été remplacés sans connaître le même succès.
Les grandes sociétés de production, en majorité américaines, n'ont pas tardé à trouver le nouveau filon : les émissions de ‘'téléréalité'' qui ont en commun de réunir des personnes, jeunes le plus clair du temps, dans des espaces fermés (en ‘'intérieur'' dit-on) pour vivre ensemble pendant une durée pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines ou toute une saison (l'été de préférence) une expérience inédite et dans certains cas extravagante. Jugez-en :
Aux Etats-Unis, où il existe des dizaines de chaînes télé et même des centaines si on inclut les chaînes locales, les émissions de téléréalité se comptent par dizaines aussi. On enregistra pas moins de 37 ces dernières années avec des thèmes aussi différents que l'accouchement diffusé en direct, dans la nature et sans assistance médicale de femmes seules (‘'Born in the wild'', né dans la nature), des rencontres organisées entre des participants soit malades, très moches ou bègues (‘'The undateables'', les inclassables), l'exploration des troubles alimentaires des citoyens (‘'What eating you !''), suivre l'ancien gouverneur d'Alaska dans sa vie de tous les jours (Sarah Palin's Alaska ) ou comment ‘'torturer'' les chanteurs de karaoké en cherchant à les troubler avec inventivité (‘'Bonus : Killer karaoké'') et plein d'émissions avec des jeux sexuels ou carrément pornographiques.
En France, elles sont plus de trente allant de ‘'Loft story'', ‘'Koh-Lanta'', ‘'Pop star'' et ‘'Star Academy'', toutes débutées en 2001 jusqu'aux dernières comme
‘'Danse avec les Stars'', ‘'The Voice'', ‘'Guerre des belles-mères'', ‘'24h aux urgences'' et encore plus récemment ‘'The Voice Kids'', ou ‘'Koh-Lanta nouvelle édition'' passant par des émissions qui ont eu leur heure de gloire comme ‘'L'île de la tentation'', ‘'Nice people ‘', ‘'The Bachelor'', ‘'A la recherche de la nouvelle star'', ''Pékin express'', ‘'Top Model, ‘'X Factor'', ‘'Secret Story'',''Top Chef'', etc.
Ces émissions, dirigées vers le large public pour drainer le maximum de publicités chèrement payées, ont connu un grand succès dans le monde et ont créé une sorte de mode suivie partout. Cette course, cette frénésie est plus ou moins compréhensible dans une société de marché sans limites, où les mœurs sont libérales, où l'argent coule à flots et où la compétitivité bat son plein et constitue le seul moyen de s'imposer voire de survivre vu la rapidité fulgurante des changements.
Les inconvénients des ‘'téléréalités''
En Tunisie, on ne peut pas vraiment parler de mode des émissions de téléréalité mais plutôt d'émissions qui s'en rapprochent avec la participation de citoyens aux motivations personnelles variables : il y en a qui viennent chercher une réconciliation avec leurs actuels ou ex-partenaires, qui recherchent leur filiation ou un parent perdu depuis parfois des décennies, qui demandent un soutien mais aussi pour exposer leurs problèmes personnels ou intimes sans rien cacher.
Ces émissions font appel aux sentiments, aux émotions et à l'instinct de curiosité et de voyeurisme accentué des téléspectateurs, comme les ‘'téléréalités'' qui, fuyant la réalité de la vie quotidienne souvent dure ou décevante, tombent dans l'accoutumance semblable ou presque aux effets inévitables de la consommation prolongée des drogues. Si on ne s'en lasse pas assez vite, on risque d'en devenir ‘'accroc''.Elles n'ont pas de contenu purement informatif ou instructif. Comme les films de piètre qualité qu'on appelle ‘'navets'' ou les mauvaises chansons (‘'bides'') et les mauvaises prestations d'apprentis chanteurs (‘'casseroles''), elles sont facilement oubliées mais peuvent, sur le coup, retenir l'attention comme expliqué plus haut.
Il y a eu, dans quelques cas, suspension de la totalité de l'émission ou de la partie qui dépasse le seuil de l'acceptabilité du public ou du téléspectateur moyen pour cause de manque de pudeur, de décence, vulgarité excessive, de propos choquants... sans arriver à l'atteinte à la pudeur publique qui, elle, est pénalement punissable.
Mais là où le bât blesse, c'est lorsque, en l'absence de règles préétablies et de limites bien claires, de code de déontologie ou de charte de l'éthique, les émissions dépassent et sortent de leur cadre pour tomber dans l'excès par des paroles hors de propos, comment alors arrêter et quelles mesures prendre contre ces dépassements qui n'ont pas de qualification juridique et ne constituent pas une infraction au vu d'une lecture neutre et objective des textes, sans interprétation ni restrictive ni extensive et peuvent rentrer dans le cadre de l'exercice normal de la liberté d'expression ?
La liberté d'expression a-t-elle des limites ?
Contrairement à ce qu'on a tendance à croire, la liberté d'expression comme la liberté d'information ne sont pas absolues ou au-dessus de tout respect et inattaquables.
Les juristes et les professionnels savent que la liberté d'expression n'est pas un droit absolu et que son exercice, selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (Cedh) de 1950, comporte «des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions, ou sanctions prévues dans un cadre légal, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé, de la morale, de la réputation» (en sanctionnant la diffamation, l'insulte, l'injure et la calomnie) «ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire».
Les limites à la liberté d'opinion et d'expression ont été énoncées depuis la Déclaration des droits de l'Homme de la Révolution française de 1789 et reprises par celle Universelle des droits de l'Homme de 1948. En France, c'est la loi sur la liberté de la presse de 1881 qui est le texte de référence sur la liberté d'expression. De nouveaux textes ont été décrétés, le dernier en date est la loi (dite antidiscriminatoire) du 10 mai 2007, pour réprimer toutes formes de discriminations contre des individus ou des groupes qui se trouvent désavantagés « à cause de leur âge, orientation sexuelle, état civil, naissance, fortune, conviction religieuse, philosophique, politique ou syndicale, langue, état de santé actuel ou futur, handicap, une caractéristique physique ou génétique, ou l'origine sociale» en plus de la race, l'ethnie ou la nationalité déjà condamnées, etc. L'apologie de la discrimi- nation et de la haine sont également répréhensibles. L'homophobie et l'antisémitisme sont ainsi punis en France mais pas l'islamophobie, l'arabo et la ‘'maghrébo-phobie'' qui ne sont pas reconnus comme discriminations malgré leur existence palpable dans beaucoup de domaines.
Au contraire, il y a une négation de ces crimes. D'autre part, le délit de blasphème n'existe pas, l'Etat laïc séparant la religion, pouvoir spirituel et intemporel des affaires matérielles et temporelles.
En Tunisie, c'est l'article 31 de la Constitution du 26 janvier 2014 qui garantit la liberté d'expression et ce sont la loi du 27 juillet 2004 relative à la protection des données personnelles et les décrets-lois numéros 115 et 116 du 2 novembre 2011 qui régissent la matière.
Les juges auront toujours la latitude d'apprécier au cas par cas le caractère vexatoire, blessant, discriminatoire ou raciste des paroles ou attitudes reprochées.
Après cette parenthèse, revenons aux inconvénients et aux méfaits des téléréalités et de la TV de façon générale.
La télé peut entraîner chez le spectateur une sorte de fuite de la réalité, qui, de moment de détente, peut mener à l'accoutumance comme avec les drogues. Cette dépendance, si elle est ajoutée au sentiment d'insécurité souvent entretenue par des événements catastrophiques, comme cela se vérifie à l'heure actuelle, relayés par les médias et les réseaux sociaux, peut conduire au confinement chez soi et à l'isolement, ce qui entraînera d'autres dangers: dépression, schizophrénie, meurtre par mimétisme, stress post-traumatique, troubles du comportement, etc.
Il est évident que la TV, tout comme les réseaux sociaux malgré leur récence tels que Facebook ou Twitter, participe autant à la désinformation qu'à l'information objective des spectateurs, car il s'agit d'un système de communication non neutre, un parmi les autres médias.
Certains, et ils ne sont pas peu nombreux, se refusent à critiquer la TV dans son intégralité parce qu'ils voient en elle un objet clé de la ‘'culture populaire'' derrière de nombreuses émissions cultes (El Haj Klouf, Ommi Traki, Chofli Hal, etc.) ou de la pénétration d'art populaire très apprécié comme le ‘'Mezoued'', le Rai, ou le Rap. Ils sont aussi contre l'idée qui fait de l'objet télévisuel une forme de politiquement correct ‘'bourgeois-bohème'' élitiste et généralisateur, visant à rendre la culture inaccessible aux couches populaires en répandant l'idée d'une télévision abrutissante par nature.
Les défenseurs de TV de qualité reconnaissent quand même la présence, quel que soit le média, d'un pourcentage variable de contenu ''trash'', ‘'racoleur'' (qui veut attirer), ou débilitant (‘'télé poubelle''). Ils dénoncent le fait que la presse ou la radio soient vus comme ‘'médias intellectuels'' alors que l'on peut trouver dans les deux cas le même contenu de piètre qualité.
La multiplication des programmes racoleurs trouve son explication dans l'existence d'une certaine demande présente un peu partout dans toute société mais aussi par un « syndrome de lynchage'' de la TV visant à nier en bloc l'existence de programmes de qualité. La propagation suscitée de l'idée d'une télévision ‘'stupide par nature'' entraîne une dévalorisation inconsciente des programmes qui, vicieusement, par effet de réaction, pousse les grandes chaînes à augmenter la production des émissions ''stupides'' et ‘'racoleurs'' toujours dans le but de générer des bénéfices.
Pour les défenseurs d'une TV de qualité, il faudrait revaloriser l'objet télévisuel et le considérer au même titre que n'importe quel autre média comme vecteur potentiel de programmes de qualité, phénomène qui aurait tendance à améliorer la qualité des émissions.
En Tunisie, nous n'avons pas de nombreuses émissions racoleuses : les émissions politiques cherchent à attirer le plus grand nombre de téléspectateurs mais elles ont un contenu informatif et parfois instructif assez important, les ''sit-com'', les variétés et les émissions similaires sont destinées à distraire le public et ne peuvent pas être qualifiées de racoleuses et encore moins de ‘'stupides''.
Les seules qui sont ‘'racoleuses'' sont hebdomadaires et font de la participation de citoyens à la recherche d'un parent perdu ou d'une réconciliation avec un partenaire ou un ex-conjoint ou encore la résolution d'un différend quelconque avec une autre personne l'objet et le ‘'fonds de commerce'' de l'émission. Elles ne sont pas à proprement parler des téléréalités qui sont diffusées et rediffusées à longueur de journée. Elles ont souvent un bon contenu, résolvent des problèmes sociaux épineux et recueillent pour cela la satisfaction des téléspectateurs. Par contre, on a constaté, au cours de l'une d'elles, de temps à autre, des paroles et des remarques ou des ‘'sous-entendus'' hors de propos, plus proches de la vulgarité et de l'indécence qu'autre chose et des banalités et des éloges à la chaîne qui l'emploie à n'en plus finir chez l'autre.
L'animateur n'aurait rien à gagner en laissant quelques ‘'invités'' insulter leur vis-à-vis, ou prononcer des mots de nature à toucher la susceptibilité des téléspectateurs et à en ‘'biper'' d'autres ou à répondre sur le ton de la plaisanterie par des ‘'sous-entendus'' ou en insistant de façon aussi gênante pour son interlocuteur, en l'occurrence la partie lésée, que ''désagréable'' pour le téléspectateur pour arriver ‘'coûte que coûte'' à une solution amiable et ouvrir le fameux rideau d'autant que l'émission passe en début de soirée et en famille. D'autre part, il ne serait nullement désastreux de suspendre ou de renoncer, faute d'un bon sujet ou d'une histoire non ‘'scrabbleuse'', à la diffusion d'une émission qui se rapprocherait du ‘'bouche-trou'' ou de la ‘'télé poubelle''. Cela vaut toujours mieux qu'une suspension assortie d'une amende imposée par l'instance compétente. Cette remarque vaut pour l'émission qui se base sur des entretiens, ressemblant parfois à des questionnaires et des échanges ‘'vifs'' avec des invités faisant l'actualité, pour faire le ‘'buzz''.
Par ailleurs, répéter à chaque émission que l'on détient le meilleur taux de l'audimat ne sert à rien même en présence de sondages crédibles. Cela dénoterait au contraire d'un esprit amateur et de la recherche désespérée de lauriers que l'on ne rechigne pas à s'auto-accorder, sachant que les satisfecits et les honneurs ne devraient pas changer la personne sauf à la pousser à faire mieux.
Michel Drucker, animateur et présentateur depuis plus de 50 ans de grandes émissions françaises à grande audience, a déclaré que le seul regret qu'il ressent après sa longue carrière, réussie et jamais décriée, est la création de l'audimat qui n'a servi qu'à éliminer des émissions de haute qualité et à faire disparaître des animateurs et des présentateurs très compétents pour la simple et unique raison que lesdites émissions n'ont pas captivé l'attention d'un fort pourcentage des téléspectateurs sondés (pas plus de mille en moyenne) et sans que soient recherchés les véritables motifs de cette indifférence (concomitance avec d'autres émissions plus connues et plus anciennes, mauvais choix de l'horaire, invités ou animateurs pas en forme, etc.).
Il convient ici de rappeler que le terme ‘'audimat'' est à l'origine le nom du premier ‘'audiomètre'' utilisé en France pour mesurer l'audience TV. Il a été remplacé par le mot ‘'médiamat'' mais le terme ‘'audimat'' est resté utilisé par habitude pour désigner les résultats d'audience des différentes chaînes de TV.
L'audimat est changeable et ne doit pas servir à sacrifier les émissions de qualité au profit de celles captivantes un court laps de temps, mais dont on ne retient rien et qu'on oublie tout de suite parce que à très faible plus-value intellectuelle..
Ce qui est plus étonnant, c'est que pas moins de quatre animateurs de la même chaîne, tous journalistes de formation, n'hésitent pas à s'enorgueillir d'avoir le plus fort audimat pour leur émission, ne faisant aucun cas des autres programmes alors qu'ils sont censés savoir que l'audimat varie en fonction du contenu et que parfois ils peuvent ‘'sécher'' faute de sujets ou d'invités capables de retenir l'attention, ce qui est déjà arrivé à au moins l'un des quatre présentateurs.
L'audimat est fortement contagieux et au moins un animateur d'une autre chaîne soutient avoir le meilleur ‘'score'' alors que d'autres, plus récents, commencent à sortir leurs ‘'griffes''.
Les émissions de téléréalité ou celles ‘'racoleuses'' ne sont pas partout louées et appréciées par le public. Du côté des participants à l'émission, les spécialistes ont constaté un lien entre la dépression et même le suicide qui guettent certains d'entre eux, assez fragiles, qui ne bénéficient d'aucun suivi psychologique adéquat après la fin de la période de temps que dure le tournage des épisodes de l'émission. On a même vu un participant se suicider (en 2011) dés le début de l'émission.
Concernant notre pays, beaucoup de téléspectateurs regrettent plusieurs séquences faisant appel à des propos vulgaires ou grossiers et ‘'biper'' ne suffit pas pour gommer ou changer la signification et la connotation quasi obscène des paroles ‘'bipées''. On déplore aussi le contenu d'autres émissions qui exposent des histoires indécentes ou encore taboues dans toutes les sociétés (comme l'inceste) et à plusieurs fortes raisons les pays musulmans où existent toujours des non-dits et beaucoup de pudeur pour oser soulever ce genre de problèmes sensibles en n'hésitant pas à montrer à visage découvert les ‘'héros'' de l'histoire qui n'ont pas peur des scandales et qui donnent même l'impression de chercher à se faire connaître. L'animateur ne devrait pas prétexter la volonté délibérée des citoyens de venir spontanément à son émission s'exposer sans prendre gare aux réactions, les conséquences et les séquelles de ce déballage public. Il devrait plus fin sur le plan psychique et éviter les propos choquants et surtout les détails traumatisants. Cela est d'autant plus facile que les émissions sont enregistrées et non en direct.
Les solutions pour dépasser les inconvénients des programmes racoleurs visant la plus large audience et les sommets de l'audimat sont entre les mains des producteurs, des animateurs et des présentateurs qui doivent trouver la recette idoine pour informer, instruire et distraire les téléspectateurs sans tomber dans le vulgaire, le ‘'stupide'' ou ‘'l'abrutissant'', car la qualité finit toujours par s'imposer dans la durée alors que la ‘'camelote'' finit toujours par péricliter et disparaître.
Edicter une charte de bonnes pratiques reste une proposition que les parties concernées dont la Haica devraient étudier alors que la solution consistant à interdire la téléréalité avant 22 heures est une mesure qui peut être détournée, car les émissions peuvent revues en différé ou sur internet. La prise de conscience et le professionnalisme des responsables des émissions demeurent en définitive les meilleurs paramètres pour être en phase avec les attentes de la majorité du public.


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