La classe moyenne, qui représentait 80% de la population avant la révolution, s'est réduite comme une peau de chagrin. Composée essentiellement de salariés de la fonction publique, elle n'est plus épargnée par la pauvreté. Point n'est besoin de sombrer dans les dédales des chiffres et des statistiques pour se rendre à l'évidence de la paupérisation d'une grande partie de la population au point que la disparition de la classe moyenne en Tunisie s'apparente aujourd'hui à une lapalissade. Il a suffi d'une décennie pour tout chambarder. Le bilan des avancées socioéconomiques a été catastrophique depuis la révolution. Le taux de chômage a explosé, celui de l'endettement aussi. Quand les caisses de l'Etat se vident La classe moyenne fut une cible privilégiée du pouvoir avant la Révolution. Les familles issues de cette classe pouvaient aspirer à un logement et une voiture dite populaire à cette époque. Grâce au soutien apporté par l'Etat, la classe moyenne est devenue l'une des plus importantes dans le monde arabe. Dix ans après la révolution, le jasmin a flétri en raison notamment de la démocratisation et la systématisation de la corruption. L'endettement public est passé à la fin de cette année à 90,13% du PIB. «La conjoncture économique actuelle marquée par la dépréciation du dinar et les dangers de l'inflation risquent de conduire à la disparition de la classe moyenne», avait mis en garde l'économiste Ezzedine Saidane dans l'une de ses sorties médiatiques. Miraculeusement, les caisses de l'Etat se sont vidées au fil des ans et on a du recourir au Fonds monétaire international (FMI) pour tenter de sauver le pays. Dans un statut publié en juin dernier, l'ancien gouverneur de la Banque Centrale Taoufik Baccar avait confirmé qu'au moment de son départ de cette banque le 16 janvier 2011, «la Tunisie disposait d'un matelas de 5.6 milliards de dinars d'économies budgétaires dont essentiellement 2,5 milliards de dinars provenant de l'opération d'ouverture du capital de Tunisie Télécom, environ 1 milliard de dinars de bénéfices de la Compagnie des phosphates de Gafsa et du Groupe chimique et presque autant au titre des bénéfices de la BCT, non utilisés durant trois exercices successifs». Et d'ajouter que le pays «disposait aussi de réserves en devises d'un montant de 13 milliards de dinars, soit 145 jours d'importation». Ces réserves se sont volatilisées comme par enchantement et le pays s'est depuis enfoncé dans la spirale de l'endettement. Les pauvres s'appauvrissent encore plus La détérioration du pouvoir d'achat a conduit au surendettement des ménages. D'après une enquête menée par l'Institut national de consommation (INC), à la fin de l'année 2018, environ 1,8 million de familles tunisiennes s'endettent à cause de leur situation difficile. La propagation du Covid-19 n'a fait que rendre la situation encore plus difficile. Plus de 60% des ménages ont été impactés par la pandémie et notamment suite à l'augmentation des prix des produits alimentaires et la perte d'emploi, selon une enquête publiée par l'Institut national des statistiques (INS) en mai 2020. La classe moyenne, qui représentait 80% de la population avant la révolution, s'est réduite comme une peau de chagrin. Composée essentiellement de salariés de la fonction publique, elle n'est plus épargnée par la pauvreté. Le pourcentage de cette classe a chuté de 20% en 8 ans seulement, passant de 70% en 2010 à 50% en 2018, selon l'Institut tunisien des études stratégiques. En l'absence de statistiques officielles, il n'est pas exclu que ce taux ait nettement chuté ces dernières années. La propriété d'un logement et d'une voiture n'est plus aujourd'hui à la portée de la classe moyenne. Durant le deuxième trimestre 2021, l'indice des prix de l'immobilier a enregistré une augmentation de 6,8% par rapport au premier trimestre de 2021 et de 15,4% par rapport au deuxième trimestre 2020, selon l'INS. «Une classe moyenne forte et prospère est essentielle à la réussite de l'économie et à la cohésion de la société», souligne une étude élaborée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde) publiée en 2019. «Au niveau macroéconomique, la présence de cette classe favorise la réussite des économies et des sociétés». Selon la même source, les gouvernements disposent d'un large éventail d'outils pour s'attaquer à ses problèmes d'injustice et de vulnérabilité de l'emploi. Des réformes ciblées sont nécessaires en matière de travail, de systèmes d'information ainsi que de politiques fiscale et sociale. Indéniablement, sous l'effet de la crise qui perdure dans le pays, la disparition de la classe moyenne ne fera que contribuer à la fracture sociale et aux inégalités. La classe moyenne est aujourd'hui en perte de vitesse et l'Etat est appelé à réparer l'ascenseur social en panne depuis une décennie.