Nafti s'entretient avec le Vice-Ministre japonais : la Tunisie réaffirme ses ambitions partenariales avec le Japon    Alerte météo : pluies orageuses, grêle et vents forts attendus sur plusieurs régions de la Tunisie    Tunisie – Kasserine : Saisie de plus de deux mille comprimés de stupéfiants    Quelle est l'ampleur des déséquilibres extérieurs liés aux Etats-Unis ?    La mère de Rayen Khalfi interdite de visite malgré une autorisation officielle    Nouvelle composition du Conseil de la presse    Tunisie – La Protection Civile appelle à éviter tout comportement pouvant déclencher des feux de forêt    Marchés financiers arabes : Performance élevée pour la Bourse de Tunis    Divorcer sans passer par le tribunal : une réforme en débat à l'ARP    Tunisie – Arrestations et saisie de drogue et de bière dans une campagne sécuritaires à Sidi Hassine    L'EST remporte le classico : Ces petits détails....    L'USBG valide contre l'ESZ : Mission presque accomplie    CA – une fin de saison peu tranquille : Une bonne sortie de crise    Education numérique : 3540 établissements scolaires déjà connectés à la fibre en Tunisie    Le Kef : Samir Abdelhafidh dévoile une stratégie pour relancer l'investissement local (Vidéo+Photos)    Projection à l'AF Tunis : "Les Fesquiat", un film sur le patrimoine hydraulique de Djerba    Ambassade israélienne en Tunisie et exportation de pétrole : intox sur X    Homo Deus au pays d'Homo Sapiens    Affluence record à la Foire du livre 2025, mais le pouvoir d'achat freine les ventes [vidéo]    Chute historique : le baril dégringole sous les 60 dollars    Six ans de prison contestés : Saad Lamjarred rejugé en appel    Pas d'eau pendant deux jours dans le sud de Tunis : tous les détails    Japon-Tunisie : Renforcement des hôpitaux avec 6,2 mDt d'équipements médicaux    Puissance et conditionnalité: La nouvelle grammaire allemande des relations extérieures    Affaire de corruption : Walid Jalled toujours détenu, procès repoussé    La Ligue arabe réclame une protection internationale pour les journalistes palestiniens    La Tunisie en Force: 19 Médailles, Dont 7 Ors, aux Championnats Arabes d'Athlétisme    Infrastructures routières : le Parlement examine demain un accord de prêt avec la BAD    Classement WTA : Ons Jabeur chute à la 36e place après son élimination à Madrid    Tunisie : les réserves en devises couvrent 99 jours d'importation au 2 mai 2025    La Directrice générale de l'OIM en visite officielle en Tunisie    Syrie : Après L'Exclusion De Soulef Fawakherji, Mazen Al Natour Ecarté Du Syndicat    GAT VIE : Une belle année 2024 marquée par de bonnes performances.    Tragique accident à Bouficha: un camion prend feu, le chauffeur décède sur le coup    Houcine Rhili : amélioration des réserves en eau, mais la vigilance reste de mise    Un séisme de magnitude 4,9 secoue le nord du Chili    USA – Trump veut taxer à 100 % les films étrangers : une nouvelle offensive commerciale en marche    Kaïs Saïed réaffirme son soutien à la cause palestinienne lors d'un échange avec le Premier ministre irakien    Foire du livre de Tunis : affluence record, mais ventes en baisse    Stand de La Presse à la FILT: Capter l'émotion en direct    Un nouveau séisme frappe la Turquie    Un missile tiré depuis le Yémen s'écrase près du principal aéroport d'Israël    «Mon Pays, la braise et la brûlure», de Tahar Bekri    France : un Prince qatari se baladait à Cannes avec une montre à 600 000 €, ça a failli mal tourner    Tunisie : Découverte archéologique majeure à Sbiba (Photos)    Gymnastique rythmique : la Tunisie en lice au Championnat d'Afrique au Caire    La Liga: Le Rwanda désormais un sponsor de l'Atlético de Madrid    Nouveau communiqué du comité de l'ESS    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Quand la déviance sociale tue la classe intermédiaire !
Evolution des ménages de la classe moyenne
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 01 - 2019

La classe moyenne, située dans l'imaginaire collectif, entre la classe des plus démunis et celle des nantis, «a été proclamée officiellement comme étant le fondement et la base de l'ordre social, après le changement politique de 1969 et la libération du système économique en Tunisie».
Installée près de la fenêtre, à bord du train de la banlieue sud de Tunis, une trentenaire défile sur son Smartphone les annonces de location immobilière et échange quelques propos avec une autre voyageuse en face. Avec son salaire d'assistante comptable dans une société privée, elle n'arrive toujours pas à acquérir son propre logement. «Un rêve qu'elle voit s'éloigner de jour en jour».
Contrainte par la volonté du propriétaire de son logement d'augmenter le loyer, elle se trouve dans l'obligation de changer de domicile. «C'est fou comment les prix ont explosé», commente-t-elle. «J'ai l'impression que nous travaillons juste pour payer le loyer ».
La voyageuse en face hoche la tête en signe d'approbation et rétorque : «Il n'y a pas que le loyer qui s'envole. Dieu merci qu'ils ne nous ont encore pas taxé l'air que nous respirons». Et un sourire amer s'installe sur des visages fatigués et inquiets.
Toujours à bord du même train, deux hommes assis côte à côte conversent ensemble et évoquent, avec admiration, l'expérience d'un ami commun, d'un passé très modeste, mais qui a « réussi», grâce à une activité informelle, à «assurer l'avenir de ses trois enfants en leur ouvrant des commerces et en leur construisant des logements». « Mais il aura des soucis avec la nouvelle loi sur la limitation du cash» dit l'un. «Il saura toujours contourner la loi comme il l'a toujours fait», répond l'autre.
Ces témoignages, entendus dans les rames du train de la banlieue sud de Tunis, illustrent parfaitement la contradiction criante entre, d'un côté, le désarroi de plus en plus grandissant d'une classe moyenne qui faisait, jadis, « les forces vives de la nation» pour emprunter l'expression de Bourguiba, et de l'autre, le confort que procure la «déviance sociale», à une certaine catégorie de la société. Et c'est cette «déviance sociale», conjuguée aux dérives du libéralisme qui serait, selon l'économiste Tahar El Almi, à l'origine du rétrécissement de la classe moyenne.
Régression de la classe moyenne
La classe moyenne, située dans l'imaginaire collectif, entre la classe des plus démunis et celle des nantis, «a été proclamée officiellement comme étant le fondement et la base de l'ordre social, après le changement politique de 1969 et la libération du système économique en Tunisie», estime le sociologue, Abdelkader Zghal, dans «Les Classes Moyennes au Maghreb» (1980).
«Cette option économique et sociale en faveur d'une extension de la classe moyenne restera, dès lors, associée au nom de son défenseur résolu : le Premier ministre des années 1970, Hedi Nouira. Ce dernier a, en effet, avoué son penchant pour la maqroudha (Timoumi, 2006) — un gâteau tunisien traditionnel en forme de losange — pour mieux illustrer sa préférence pour une société où la répartition du revenu donnerait naissance à une petite minorité de pauvres et de riches, face à une grande majorité de citoyens appartenant aux classes moyennes», rapporte Baccar Gherib, historien de la pensée économique et politique.
Toutefois, cette classe moyenne tunisienne représente, aujourd'hui, selon les statistiques du Ftdes, moins de 50% de la population, contre 70% en 2010 et 84% en 1984.
Pire, tous les indicateurs relatifs à cette classe ne cessent de se réduire, comme peau de chagrin, au point « qu'elle a perdu plus de 40% de son pouvoir d'achat entre 2010 et 2018», souligne le professeur universitaire d'histoire et président de l'Institut tunisien des Etudes stratégiques (Ites), Neji Jalloul.
«Le pourcentage des citoyens appartenant à la classe moyenne dont les comptes bancaires sont débiteurs s'élève à 40%. 15% des salariés consomment la totalité de leurs salaires avant la moitié du mois. 17% n'arrivent plus à manger de la viande. L'endettement des ménages de la classe moyenne a atteint 260%» déplore-t-il encore.
Que s'est-il passé ?
En effet, «après l'échec cuisant de l'expérience socialiste, Hédi Nouira, le Premier ministre de Bourguiba de 1970 à 1980, a fait de la classe moyenne un de ses principaux chevaux de bataille, si ce n'est le seul. Il a œuvré à doper cette classe à travers une batterie de mesures fiscales et économiques. C'était aussi lui qui a ouvert la voie à l'initiative privée et l'économie de marché, permettant ainsi à la classe moyenne l'accès à l'investissement et donc à une meilleure aisance matérielle», souligne l'économiste Tahar El Almi.
Toujours, selon lui, « la notion de la classe moyenne en Tunisie a souvent été associée à celle de l'ascenseur social qui faisait, jadis, que ceux qui se situent en bas de l'échelle des revenus ont toutes les chances de gravir les échelons, grâce à l'éducation, à la formation et au travail».
La classe moyenne était aussi «synonyme d'une certaine aisance matérielle. Les possibilités de consommation, d'épargne, d'acquisition d'un logement, d'accès aux loisirs étaient à la portée de cette classe, qui était en quelque sorte le garant de la stabilité politique, sociale et économique du pays et un vrai tremplin pour le développement».
«Ce tremplin a subi les premiers revers à l'époque du premier ministre Mohamed Mzali (1980-1986) », souligne-t-il encore. «La crise pétrolière de 1979 et les contraintes financières qu'elle a générées, conjuguées à la politique populiste de Mzali, ont fortement compromis le climat social et partant la productivité du travail déstabilisant ainsi les fondements mêmes de la classe moyenne».
Intervint par la suite, le Plan d'ajustement structurel de 1986 ayant accentué la tendance libérale de l'économie tunisienne. Une approche qui a été aussi épousée par Ben Ali, qui, malgré son discours faisant l'éloge de la classe moyenne, n'a pas réussi à mettre en place les mécanismes à même de rétablir son équilibre perdu.
«Cette libéralisation de l'économie avec tous les effets qu'elle génère en termes de politiques de travail et d'imposition, conjuguée aux inégalités criantes entre les régions en termes d'accès au système scolaire, à l'éducation et aux emplois et à l'émergence du précariat ( emplois CDD, emplois précaires...) ont fini par coincer l'ascenseur social, bloquant ainsi les perspectives de mobilité sociale en bas de l'échelle, mais aussi de mobilité intergénérationnelle».
A tout cela s'ajoute, selon notre interlocuteur, «la forte déviance sociale (corruption, opportunisme, informel...) à laquelle le régime de Ben Ali a balisé le terrain et qui a fortement favorisé la culture de l'argent facile. Dans l'esprit collectif, la réussite scolaire n'est plus synonyme de réussite sociale. Ce n'est plus la compétence qui prévaut, ce n'est plus le travail qui mène à la fortune. Le jeu est dès lors biaisé et ce sont les influences, les alliances et les intérêts des uns et des autres qui s'érigent en règles. L'informel qui prend, aujourd'hui, le pas sur l'économie structurée en est la parfaite illustration».
Et de poursuivre, «après la révolution, c'est le même schéma qui se reproduit avec une accentuation de la tendance populiste, des impositions, des inégalités, des jeux d'intérêts… et c'est ce qui fait que le corps de la classe moyenne est de plus en plus affaibli».
Pour guérir ce corps malade, Al Elmi pense «qu'il faut absolument mettre un frein rigoureux à la déviance sociale, pour rétablir la culture du travail, de l'effort et les valeurs de la société. Ensuite, il va falloir arrondir les angles du libéralisme en optant pour le modèle de la sociale-démocratie et alléger le fardeau des impôts supportés par la classe moyenne».
«Cependant, j'ai l'impression que c'est bien le contraire qu'on est en train d'opérer avec tous les risques que cela pourrait générer : fragilisation accrue de la classe moyenne, baisse des niveaux de la consommation et de l'épargne, montée de l'endettement des ménages, chute de l'investissement et, partant, instabilité sociale, économique et politique et risques accrus de débordements et d'extrémisme», conclut-il.
Une classification arbitraire
Pour Hédi Sraïeb, docteur d'Etat en économie du développement, «la classe moyenne renvoie plutôt à une image évocatrice de la société avec une haute classe supérieure et une basse classe inférieure. Entre les deux se situerait donc une classe intermédiaire censée être majoritaire. Très vite on comprend que cette classification est arbitraire car elle utilise pour l'essentiel un seul critère de classification celui de la rémunération monétaire».
Ce faisant, selon plusieurs institutions internationales, toute personne disposant de plus de 2 US$ par jour serait déjà inclus dans cette classe au même titre que celle qui disposerait de 100 US$ par jour, poursuit-il. «En faisant simplement varier les niveaux on peut ainsi faire grossir ou réduire la taille de ladite classe moyenne. Cette manière de caractériser la société est non seulement inopérante mais de surcroît mystificatrice. Spontanément, on imagine la société comme une sorte d'As de Pique avec une pointe effilée, une base réduite, et un milieu rond, ventripotent. Mais l'on pourrait tout aussi bien imaginer cette société comme un sablier de cuisson (sable qui s'écoule) avec un haut et un bas imposants et un milieu rétréci. Cette image renverrait alors vers une idée de polarisation».
Toujours selon Sraïeb, «certaines des couches moyennes seraient tirées vers le haut du fait d'activités très valorisées ou appartenant au secteur tertiaire supérieur (assurance, banque, organismes financiers, expertise comptable, marketing, communication, informatique, ingénierie...), tandis que d'autres seraient aspirées par le bas (les professions exposées à la réduction de leur pouvoir d'achat, notamment les salariés). Comme on peut le constater aucune de ces images ne permet réellement de comprendre. Elles sont trop statiques. Néanmoins, les politiques utilisent cette notion de couches moyennes à des fins le plus souvent idéologiques. Cette perception statique de la société ne permet pas de déceler les dynamiques qui la traversent».
L'ascenseur social grippé
Sraïeb pense aussi que «l'ascenseur social est également une notion qui mériterait d'être précisée. Elle suppose que, grâce au mécanisme de l'amélioration constante du niveau de vie couplée à une solide éducation, l'ensemble des couches sociales peuvent accéder à un statut et à une position sociale, meilleurs. De fait ,et partant d'un niveau très bas de développement, la Tunisie a réussi à sortir sa population de la grande détresse et profonde précarité dans lesquelles elle se trouvait au début de l'indépendance».
Toutefois, précise-t-il, «les choses ont notablement changé au tournant des années 90. Le fameux ascenseur social est devenu plus sélectif et cela paradoxalement avec une massification de l'éducation. Le chômage des diplômés en est une illustration choquante. Force est tout de même de constater que notre appareil statistique ne permet pas de comprendre le grippage de cet ascenseur social de plus en plus exclusif. Il faudrait pour cela réaliser une étude plus systématique sur les chances des diverses catégories sociales d'accéder à un niveau supérieur».
Nécessité de revoir le modèle de développement
Face aux coups portés à la classe moyenne et indépendamment des classifications dont la teneur scientifique est épinglée par plus d'un spécialiste qui les assimilent plutôt à des slogans politiques, l'expert bancaire et financier Achraf Ayadi considère «que la distribution de la richesse dans notre pays va totalement à l'encontre du bon sens, continue d'engraisser les riches patrimoniaux, dans les mêmes régions, et d'appauvrir les cadres salariés, les ouvriers, les agriculteurs et les artisans partout où ils sont».
Ainsi, stipule-il, «il faut reconnaître que notre économie ne pourra pas être sauvée ni par un budget équilibré, ni par un taux de croissance à 2 chiffres, ni même par une baisse drastique du taux d'endettement public. C'est le modèle de développement tout entier qu'il va falloir revoir de A à Z».
Source : TAP


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.