S'il est évident qu'une partie de la jeunesse franco-maghrébine s'est identifiée aux frères Kouachi, considérés alors comme de véritables héros, elle s'est totalement désolidarisée de la mouvance islamiste et de ses «soldats» de France, après les attentats du Bataclan C'est dans le cadre d'une tournée promotionnelle de son dernier livre «Terreur dans l'Hexagone, genèse du jihad français», édité chez Gallimard, que Gilles Kepel se trouvait à Tunis ces derniers jours. Une rencontre avec le public tunisien organisée à Dar Dhiafa par l'Institut tunisien des études stratégiques. Le directeur général, M. Hatem Ben Salem, dans son mot de bienvenue, lance le débat en évoquant le terme «jihadisme» à travers sa mutation sémantique depuis la naissance de l'Islam à nos jours. En présence de l'ambassadeur de France, M. François Gouyette, d'universitaires et de quelques noms connus, le politologue français, très célèbre dans le monde arabe, procède à la présentation de certains aspects du jihadisme à la française. Son dernier titre s'attache à mettre en perspective le phénomène en partant de quelques constats; « nos deux pays partagent des records, la France est le principal exportateur européen de jihadistes et la Tunisie est le principal exportateur arabe et africain de jihadistes, nous représentons à nous deux le syndicat des jihadistes », a-t-il ironisé. Notons qu'en 2015, plus de huit cents jeunes Français ont rejoint Daech. En plus de cette universelle traçabilité que présente le conférencier du radicalisme islamiste, il expose à travers une causerie qui a l'avantage d'être improvisée mais gêne quelque part par son manque de structure, les grandes lignes du jihadisme français, en prenant pour objet d'analyse les jeunes « issus de l'immigration postcoloniale ». Une jeunesse en quête de modèle, dont une partie a grandi dans l'immense ressentiment envers la France. Gilles Kepel a pris entre autres exemples le cas Mohamed Merah, qui a perpétré en 2012 la tuerie de Toulouse, et dont la famille, y compris la mère, cultive une haine féroce contre la France. L'auteur reprend tous les attentats qui ont secoué son pays en faisant parfois le parallèle avec ceux du Bardo et de Sousse. Fait intéressant à relever, la nature évolutive des réactions des ces jeunes face aux attentats. S'il est évident qu'une partie de la jeunesse franco-maghrébine s'est identifiée aux frères Kouachi, considérés alors comme de véritables héros, elle s'est totalement désolidarisée de la mouvance islamiste et de ses « soldats » de France, après les attentats du Bataclan en 2015. Parmi les morts, on ne comptait pas les musulmans et les Français d'origine arabe; «ils ont réalisé que Daech ne fait pas de différence entre les Français, tous apostats, qu'ils soient musulmans ou non». Kepel ne s'est pas empêché de regretter, au détour d'une phrase, l'abandon des études islamiques en France qui a laissé le terrain vide aux «pseudo-experts» pour occuper le terrain.