On est encore devant une affaire qui n'a fait que traîner et qui pose des questionnements. Mais, comme une affaire peut en cacher une autre, d'autres épineux dossiers pourraient refaire surface dans les prochains jours, dont en premier lieu ceux des assassinats politiques et des réseaux d'envoi de nos jeunes en Syrie, mettant en cause plusieurs hommes politiques de haut rang. A l'origine de cette affaire, la rupture des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie au temps de la Troïka en 2012. En février de la même année, le président Moncef Marzouki inaugurait le premier congrès de l'opposition syrienne en décembre. L'incurie de la classe politique avait laissé le champ libre aux services de renseignements étrangers et fait exploser le nombre de «djihadistes» dans les zones de tension, notamment en Irak, en Syrie et en Libye. A cette époque, la Tunisie était devenue le plus grand pays exportateur de djihadistes au monde (5.000 selon l'ONU). Dans les coulisses du ministère de l'Intérieur, les nominations de hauts cadres étaient pointées du doigt. Elles prenaient un aspect beaucoup plus politique et se succédaient à un rythme effréné au point que de simples agents révoqués au temps du régime déchu en raison de leur appartenance à une organisation non autorisée sont désignés dans des postes-clés et hissés au rang d'acteurs de premier plan. Fermeture de l'ambassade tunisienne en Syrie : la grande débâcle Sur fond d'intensification de la répression syrienne, le président Moncef Marzouki réagit rapidement mais aussi aveuglément. Il expulse l'ambassadeur syrien, omettant dans la foulée de rompre les relations diplomatiques avec ce pays par le biais d'une note verbale qui aurait dû être adressée au ministère syrien des Affaires étrangères et à l'ONU. Une décision aux conséquences désastreuses prise sous l'influence d'une coalition internationale qui n'a fait que contribuer à l'émergence de Daech et à la prolifération des groupes terroristes en Tunisie comme dans beaucoup de pays arabes et occidentaux. «La Troïka s'est rapprochée de l'opposition syrienne, libyenne et égyptienne au détriment de la sécurité nationale du pays», estime un haut cadre sécuritaire à la retraite. Les portes de l'ambassade tunisienne en Syrie resteront fermées, celles des réseaux d'envoi des jeunes tunisiens dans les zones de conflits, notamment en Syrie resteront ouvertes. Les grandes puissances ferment les yeux, espérant la chute du régime de Bachar. L'un des terroristes impliqués dans l'assassinat du martyr Chokri Belaïd trouve même refuge en Syrie où il a été tué en juin 2013 par les forces syriennes. Il s'agit de Marouane Belhadj Salah. Idem pour son compagnon Salman Marrakchi impliqué dans la même affaire. Comment ont-ils pu quitter le pays au moment où ils étaient activement recherchés? «Rien de mystérieux», nous font savoir d'anciens responsables du ministère de l'Intérieur. «Le chaos qui régnait dans le pays et le dysfonctionnement de l'appareil sécuritaire ont favorisé la montée du courant salafo-djihadiste. Nos frontières n'ont jamais été aussi perméables et les institutions sécuritaires aussi noyautées». Un ancien agent local de notre ambassade en Syrie déballe tout Falsification de documents d'état civil (actes de naissance) et de voyage au profit d'opposants syriens par un réseau sous la commande d'un Tunisien d'origine palestinienne qui a des liens présumés avec le Mossad, vente de passeports tunisiens au plus offrant et bien d'autres combines viennent d'être révélées sur les ondes d'une radio privée par un ancien agent local de notre ambassade en Syrie. «L'un des terroristes qui a séjourné en Afghanistan durant une trentaine d'années a bénéficié d'un passeport tunisien émanant de notre ambassade en Syrie. Il a été arrêté en 2015 à l'aéroport de Tunis-Carthage», enchaîne la même source. Un consul est impliqué dans le réseau en question, présume l'agent local qui affirme avoir adressé, en vain, dans un temps passé des lettres à ce propos au ministère des Affaires étrangères, au ministère de l'Intérieur, et à l'Instance vérité et dignité dans lesquelles il accuse des parties consulaires, sécuritaires et politiques d'avoir contribué à la mise en place de ce réseau, selon ses déclarations. Les informations, parfois incohérentes, divulguées par l'agent local en question restent à confirmer par les autorités judiciaires. Le ministère des Affaires étrangères a très vite brisé le silence cette fois, soulignant dans un communiqué que l'affaire relative aux soupçons de falsification de documents de l'état civil et de passeports aux services consulaires de nos Missions à Damas et Beyrouth, fait l'objet d'une information judiciaire depuis plusieurs années. Une mission de recherche conjointe composée de représentants du ministère public, de l'Unité nationale de recherche sur les crimes de terrorisme et le MAE a été organisée au niveau de la Mission tunisienne à Damas en février 2019. Ce dossier fait l'objet d'un suivi au plus haut niveau et nul n'est au-dessus de la loi, fait savoir le MAE dans son communiqué. Mise en détention d'un ancien consul Certes on ne sait pas pour quelle raison l'affaire a traîné, mais il semble que ce soit encore l'effet 25 juillet et le nouveau contexte général du pays qui s'en est suivi qui ont accéléré certaines procédures judiciaires. En effet, le ministère public près le Pôle judiciaire de lutte antiterroriste a déjà ordonné de placer en détention un ancien consul de Tunisie en Syrie (dont parlait justement l'ancien agent local de notre ambassade en Syrie) et un ancien chef du bureau consulaire, un fonctionnaire au service de l'état civil à Tunis et le responsable de la section de l'état civil relevant de la mission diplomatique en Syrie, a annoncé, mardi 16 novembre, le bureau d'information du Tribunal de première instance de Tunis, précisant à la TAP que les recherches sont toujours en cours. Le ministère public près le Pôle judiciaire de lutte antiterroriste avait chargé l'unité spéciale d'investigation dans les crimes terroristes d'enquêter sur des fonctionnaires, en Tunisie et à l'étranger, soupçonnés de falsification de certificats de naissance, de cartes d'identité nationale, de passeports tunisiens au profit d'étrangers de différentes nationalités et ce, entre 2015 et 2019. L'enquête concerne également quatre fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, précise la même source. Taoufik Charfeddine sonne la fin de la récréation et ordonne un audit Au moment où la rumeur va bon train sur les réseaux sociaux concernant la mise à la retraite obligatoire de 17 hauts cadres sécuritaires dont des directeurs généraux nommés au temps de l'assassinat de Belaïd et Brahmi, une information est venue lui donner du crédit. Il s'agit de l'examen de la question de la retraite obligatoire lors de la réunion du Conseil suprême des forces de sécurité intérieure, tenue jeudi sous la présidence du ministre de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine. Une direction sécuritaire aurait même fait l'objet d'un audit, selon une source fiable. Depuis son retour à la tête du ministère de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine s'est attaqué à un grand chantier, celui notamment de la dépolitisation de ce département et sa restructuration, tout en se penchant aussi sur l'important volet social comme la prise en charge des familles des sécuritaires décédés des suites du Covid-19 et celle du personnel à la retraite, l'amélioration des conditions de travail des agents de sécurité. Ceci sans compter l'amélioration des services rendus aux citoyens, l'accélération des projets relatifs à la carte d'identité et au passeport biométriques, la rationalisation des dépenses. Des dossiers sur lesquels il s'est penché à l'occasion de la réunion dudit conseil.