Par Abdelmajid SAHRAOUI Personne n'osait —à vrai dire — tenir tête à Bourguiba, sauf Achour parce qu'il était justement de la trempe des grands Le 14 mars 1999, Habib Achour rendit le dernier soupir. Figure de proue du mouvement ouvrier dès avant l'indépendance de la Tunisie pour laquelle il avait consenti tant de sacrifices, Achour incarnait les espoirs des syndicalistes et leur attachement à une organisation autonome et libre. Alors que le Néo-Destour de Bourguiba s'emparait des commandes du pays après l'indépendance et tentait d'étendre son autorité à l'ensemble des affaires du pays, l'Ugtt, quoique alliée du parti, dans la lutte nationale, voulait déjà marquer ses distances à l'égard du régime. L'Ugtt devait être d'ailleurs au centre des débats d'ordre socioéconomique, voire politique et culturel, se confondre de la sorte à l'ensemble de l'histoire de la Tunisie indépendante. La personnalité de Habib Achour, qui est incontestablement celle qui a le plus marqué le syndicalisme tunisien, confère à elle seule à cette œuvre une dimension exceptionnelle. Militant syndicaliste, mais aussi politique, Achour était témoin et acteur dont le parcours militantiste résume à lui seul l'évolution syndicale et politique de la Tunisie à partir des balbutiements d'un syndicalisme tunisien naissant au lendemain de la rupture avec la CGT en mars 1944, prélude à la fondation de l'Ugtt en 1946, jusqu'aux crises et affrontements avec le régime dont le 26 janvier 1978. Incarcéré, Achour le sera de nouveau en 1985, et auparavant en 1965. Puis lorsque le conflit s'est ravivé en 1986, il était plutôt question d'une opposition banale relative à une augmentation salariale. Mais ce qui est moins classique, c'est que ces luttes ont été relayées par d'autres conflits en dehors du champ syndical et l'Ugtt devient du coup le centre de toute contestation. Avec à chaque fois l'emprisonnement de Habib Achour, l'on assistait à une tension qui faisait de la centrale syndicale un symbole cristallisant les aspirations de l'ensemble de la nation. Pourtant, Habib Achour était l'un des piliers du mouvement national et même du Néo-Destour de Bourguiba. D'ailleurs, c'était lui qui avait fait basculer la balance en faveur de Bourguiba contre son farouche rival Salah Ben Youssef en 1955. C'est le poids de l'Ugtt qui avait ainsi permis à Bourguiba de surmonter la crise de 1955. Mais une fois bien installé aux commandes du pays, le Néo-Destour n'admettait plus qu'il y ait une voix «discordante», même s'il s'agissait de l'Ugtt et la légitime défense des intérêts de ses adhérents. Habib Achour devait mener, sa vie durant, une lutte juste et implacable, avec des compromis certes, mais jamais de compromission pour une Ugtt libre et toujours fidèle à sa vocation ouvrière et nationaliste. Avec la disparition de Habib Achour, l'Ugtt perd l'un de ses chefs historiques que j'ai eu l'honneur de côtoyer depuis que je l'ai connu de près à la prison civile de Tunis, lors des douloureux événements du 26 janvier 1978, puis au congrès de l'Ugtt en 1984 où j'ai été élu 1er vice-président de ce congrès qui avait recommandé ouvertement et pour la première fois le respect des libertés individuelles et publiques et prôné le retour des exilés dont MM. Ahmed Ben Salah et Brahim Toubal. C'était une première. Personne n'osait —à vrai dire — tenir tête à Bourguiba, sauf Achour parce qu'il était justement de la trempe des grands. Que Dieu ait son âme.