«En Tunisie, tout s'est effrité et il ne reste plus que l'Ugtt». Hassine Abbassi, nouveau secrétaire général de la centrale syndicale, est clair, précis et tranchant, en tirant, hier, à la maison de la culture Ibn-Rachiq, les enseignements de la commémoration, pour la première fois à l'échelle nationale, 34 ans après, des événements sanglants du jeudi noir, un certain 26 janvier 1978. Dans une salle archicomble où l'on sentait la nostalgie des syndicalistes qui ont vécu cette journée mémorable, le désir des représentants de la société civile de tremper, de nouveau, dans l'ambiance des souvenirs des années de braise et la volonté des jeunes qui ont accompagné la révolution du 14 janvier 2011 d'apprendre de leurs aînés, le secrétaire général de l'Ugtt n'est pas allé par quatre chemins pour insister sur l'importance des événements du 26 janvier 1978 qui «ont balisé la voie à l'instauration du multipartisme, à l'autonomie de l'Ugtt en tant que choix pour lesquels les syndicalistes ont payé de lourds tributs et au développement de la culture démocratique au sein de l'Ugtt elle-même et au sein des partis qui luttaient pour être reconnus». Il devait, par ailleurs, insister sur le rôle militant des syndicalistes et des militants qui ont vécu ces «événements de triste mémoire, mais qui ont constitué un combat démocratique et une étape fondatrice sur la voie de l'instauration des libertés individuelles et publiques». Hassine Abbassi a fait part de quatre revendications accueillies par les présents avec enthousiasme et passion. Il s'agit de l'appel à ce que l'anniversaire du 26 janvier 1978 soit considéré comme une fête nationale, de l'ouverture officielle d'une enquête juridique afin de démasquer et de juger les responsables des assassinats des syndicalistes et des martyrs tombés sous les balles de l'armée et de la police, ainsi que des opérations de pillage des locaux de l'Ugtt, de la restitution des documents et des archives de l'Ugtt volés, et ce, dans le cadre de la préservation de la mémoire syndicale et enfin la décision, par le gouvernement actuel, d'inscrire les martyrs du 26 janvier 1978 parmi les martyrs de la révolution et de les faire bénéficier des avantages de ceux qui ont payé de leur vie tout au long de la période du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Pour que personne n'oublie Acte II de la célébration des événements du 26 janvier 1978 : la présentation d'un film documentaire de Ridha Ben Hlima, intitulé : Pour que personne n'oublie. Dans ce film d'environ une heure, on a retrouvé des visages syndicalistes qui ne sont plus de ce monde (Bouraoui, Habib Ben Achour, Saïd Gagui, Houcine Kouki), des policiers qui ont apporté leur vision de ce qui s'est passé le 26 janvier 1978 et bien avant cette journée fatidique (Mohamed Sayah, ancien directeur du PSD et l'un des protagonistes des événements), des historiens qui essayaient d'analyser, le recul historique aidant, pourquoi l'Ugtt sous la direction de feu Habib Achour et le gouvernement de l'époque géré par feu Hédi Nouira «deux amis de longue date et deux alliés solides de 1970 jusqu'à fin 1977» étaient arrivés à la confrontation. Le dernier mot revient à l'Histoire Acte III et fin de la cérémonie : des témoignages de ceux qui ont vécu, directement, ces douloureux événements en commençant par Mohamed Ennaceur, ministre des Affaires sociales à l'époque et architecte de la politique contractuelle (mise en œuvre en 1971) et du pacte social signé en janvier 1977. Il a notamment souligné que plusieurs zones d'ombre continuent, trente-quatre ans après, «à marquer la décision de la grève générale le 26 janvier 1978 par Habib Achour et les membres du bureau exécutif ayant convenu, fin 1977, de couper les ponts avec le PSD et d'imposer l'autonomie de l'Ugtt». Mohamed Ennaceur n'arrive toujours pas à comprendre comment et pourquoi «les différentes tentatives de conciliation entreprises par plusieurs personnalités nationales et internationales ont échoué». «J'estime, conclut-il, que c'est à l'histoire de dire le dernier mot sur ces événements et de dévoiler les secrets qui demeurent toujours dans les archives qu'il importe d'ouvrir le plus vite possible aux historiens». Quant à Abdelmajid Sahraoui, ex-secrétaire général de l'Union régionale de Sousse et le plus jeune syndicaliste jugé en 1978, il revient sur le nombre des victimes assassinées le 26 janvier 1978 pour affirmer qu'il s'élève à plus de 1.200 martyrs, «selon les déclarations récentes d'un responsable sécuritaire de haut rang». Il appelle l'Ugtt à assumer ses responsabilités et à «poursuivre les responsables dont la compromission a été établie dans ces événements». Il considère, également, qu'il est temps que l'Ugtt «collecte tous les documents et photos relatifs à cette journée dans la mesure où ils représentent une partie intégrante de la mémoire nationale, chère à nous tous». Quant au Pr Zeïneb Ben Saïd, jugée en 1974 pour appartenance à «El Amel Tounsi» et arrêtée durant près d'un mois en 1978 en compagnie des syndicalistes Habiba B'hiri et Zeïneb Hamza (enseignement secondaire), elle se rappelle avec émotion «les combats que nous avons menés au sein de l'Ugtt alors que nous étions exclus de l'enseignement. La centrale syndicale constituait, pour les marginalisés, les licenciés pour raisons politiques, notre maison où nous avons milité pour l'instauration de la démocratie et le triomphe de la liberté». De son côté, Salah Chelli, secrétaire général, à l'époque, de l'Office des ports nationaux, a évoqué les rapports que l'Ugtt entretenait depuis sa création avec le PSD et les rapports personnels qui liaient Achour à Bourguiba, du temps de la lutte pour la libération nationale (en 1949 quand Achour a aidé Bourguiba à quitter la Tunisie pour l'Orient) ou à l'occasion du congrès de Sfax en 1955 (l'Ugtt ayant décidé de soutenir Bourguiba contre Salah Ben Youssef).