Ni militant de l'Uget, ni actif de l'Ugtt, ni membre de la Ltdh, ni du Parti destourien au pouvoir, ni d'aucun des partis de l'opposition, qu'elle soit de gauche, panarabe, islamiste ou libérale, ni entrepreneur de quoi que ce soit sur le plan économique ou social, seulement un enseignant de droit constitutionnel, sans qu'il soit ni parmi les plus brillants ni des plus compétents, et pourtant il se fait élire président de la République, grâce au seul fait d'avoir été l'expression de ceux qui lui ressemblent, soit tous ceux qui se sont mis à l'écart de l'essentiel de ce qui s'est fait comme idées et comme pratique sociopolitique et socioéconomique depuis 1956, et qui se sont autodécrétés antisystémistes, ce qui signifie « redevables de rien ». Ainsi, pour ce qui est de la philosophie constitutionnelle qui peut ressortir de ce genre de posture, il ne faut pas trop chercher pour la trouver, elle n'est ni « basiste » ni « conseilliste », elle est seulement « à rebrousse-poil », c'est une approche systématiquement et absolument « contre » et « anti », qui ne se définit pas par elle-même mais par la « négation ». Mais la négation n'étant pas une valeur très vendable, il faut lui trouver un bon empaquetage, du genre qui peut caresser encore davantage le nihilisme dans le sens du poil, tel que : « La souveraineté n'appartient qu'au peuple ! », ou encore : « Ils sont tous pourris ! ». Ainsi, ce ne seront ni les ingénieurs, ni les entrepreneurs, ni les femmes et hommes de culture, ni les femmes et hommes de science, ni les démocrates les plus authentiques qui ont pris tous les risques du temps de l'autoritarisme à outrance, lorsque beaucoup, sans préciser davantage de qui il s'agit mais l'on se fait comprendre, rasaient les murs, ni les syndicalistes sincères, ni les défenseurs de droits de l'homme les plus conséquents, qui sont massivement et énergiquement sollicités, pour tenter de hisser le pays à l'échelle d'une nouvelle orbite, mais des commissions obscures, à la solde de la présidence, et des plateformes de dialogue électronique, dont il est garanti d'avance qu'il ne va en sortir absolument rien. Mais, et c'est là tout le paradoxe de la situation, tout ce qui arrive depuis 2011, de bon et de moins bon, c'est le prix de la démocratie. L'espace d'une élection et tout peut partir en vrille ! Nous avons tous rêvé que le tumulte de la périlleuse construction démocratique ne puisse pas affecter l'Etat ni déstabiliser l'économie. Mais ce fut un rêve hyper pieux, fruit de notre seule crainte du pire. Mais du pire nous avons été gavés et ce n'est pas fini, parce que nous ne sommes pas encore passés par toutes les cases qui tiennent absolument à ce que l'on passe par elles. Il serait d'une idiotie manifeste d'exprimer quoi que ce soit de positif ou de constructif dans ce temps du tangage généralisé, où beaucoup d'énergies positives ont commencé par se porter au secours d'un projet qui ne relevait que de l'illusion, parce que beaucoup en étaient en manque, en espérant s'offrir une émergence à partir du vide, mais en raison précisément de cela, rien n'a pu se départir de l'originel qui l'a enfanté. Les chirurgiens ne décident d'opérer qu'à froid. Sur le plan politique tunisien la situation reste dans une confusion chaudement bouillonnante. On en arrive à qualifier la décennie 2011-2021 par la « décennie noire », parce que l'autoritarisme, le népotisme et la maffia d'avant 2011 relevaient de la lumière ! D'autres jouissent littéralement à l'idée qu'on va les débarrasser de l'islamisme politique, oubliant toute l'épaisseur sociale, culturelle, territoriale, médiatique, géopolitique, financière qui font que rien qu'en Tunisie il y a des « terres nadhaouies », que certains démocrates caviar fantasment sur leur « libération », alors que le dépassement de l'islamisme en tant que fausse réponse à une vraie question se pose en termes de génération. Quelque chose nous a échappé sans que nous sachions trop quoi. Mais cela fait partie du genre de questions qui, à l'instant même où on l'on comprend, il est déjà trop tard.