La cruauté humaine viendrait-elle de la dureté de la nature? Questions sur le manichéisme de l'acte du suicide. Durant toute une semaine au Rio, le Centre d'arts dramatiques et scéniques de Kairouan invite le public de Tunis à découvrir des pièces de théâtre produites par le Centre ou par des troupes de la ville. La première représentation de l'événement, intitulé «Le Kairouan du théâtre» au Rio en reconnaissance à l'espace qui l'accueille, a eu lieu lundi dernier. Elle sera suivie de six autres, jusqu'au 19 mars. Après «Kourda», de Abdelfattah El Kamel en ouverture, deux pièces ont été représentées mardi 15 mars: «Al mouharrij wa sahib al chorta» et «Laou». Aujourd'hui à 19h00, le public a rendez-vous avec «Fi intidhar el moustatil», de Mohamed Kalai, produite par la troupe «Marah». Le lendemain, «Dar el ounas» sera à la même heure en représentation, une mise en scène de Bachir Bou Ali, produite par la troupe «Dar el founoun». «Intissab faoudhaoui», de Mohamed Essyah Aouichaoui et la troupe «Masrah al ghasak» le sera, quant à elle, le vendredi 18 mars. Le samedi 19 mars laisse place à la dernière œuvre présentée dans le cadre de cette manifestation culturelle axée sur le 4e art. Il s'agit de «Treken ellil», de Maher El Mahdhi, produite par la troupe «Hanin». Au bout de la corde «Le Kairouan du théâtre au Rio» ramène à Tunis des échos de cette ville du Centre du pays, de son art mais aussi de son quotidien difficile. Celui d'un village en particulier dont parle la pièce «Kourda», de Abdelfattah El Kamel, El Alâa. Un lieu connu non pas pour la beauté de ses paysages mais pour le taux le plus élevé des suicides dans toute la Tunisie. Un phénomène mystérieux et un drame humain. Ce deuxième volet de la tragédie est celui qu'explore la pièce. Produite en collaboration entre le Centre d'arts dramatiques et scéniques de Kairouan —dont on salue le travail et les efforts pour présenter un art ancré dans la réalité de son environnement—, et la troupe «Athar» de Sidi Bouzid, la pièce est interprétée par Salah Jlali, Intissar Abdessalem, Achref Ghribi, Hasna Dkhil et Kais Amaira. En introduction, le metteur en scène a annoncé le thème de la pièce et pourtant «Kourda» prend au dépourvu. Les comédiens, debout entre les sièges des spectateurs, se présentent par leurs vrais noms. Ils racontent ensuite un incident douloureux survenu à l'un d'eux, dont le jeune frère s'est suicidé dans la ville de Regueb. Ils posent des questions sur le manichéisme qui caractérise cet acte en citant de nombreux noms d'artistes, de toutes les nationalités et les disciplines, qui se sont donné la mort, avant d'enchaîner avec des noms d'habitants d'El Alâa, et de s'arrêter à celui de Aicha, dont l'histoire sera le canevas du reste de l'action de «Kourda». Aicha était superbement belle et pleine de vie. Elle faisait tourner la tête aux hommes du village, et pâlir de jalousie les femmes. Mais elle était libre comme l'air, refusant tous les prétendants. Un matin, ses parents l'ont trouvée perchée sur un arbre... Tous vont prendre part à cette mort, comme ils n'ont pas pu prendre part à sa vie. Dans la pièce, les situations s'enchaînent, certaines plus réussies que d'autres, où la sobriété sert le propos plus que le trop-plein de paroles et d'expressions. Les villageois —son cousin qui était amoureux d'elle, les voisines, ses parents, les soulards...— parlent de cette femme qu'ils adulent et haïssent à la fois. Une femme qu'ils ont érigée en symbole, la comparant à Jazia Hilaliya, La mise en scène joue sur les dialogues et la performance des comédiens, dans un décor qui renvoie au délabrement du village. La lumière est un élément majeur dans le jeu scénique. Elle illumine des côtés des personnages pour en cacher d'autres et inversement, comme une lune qui se meut sous le ciel d'El Alâa, qui ne semble pas connaître la clémence. La cruauté humaine viendrait-elle de la dureté de la nature? En se suicidant, Aicha a laissé le message suivant: je suis Aicha, je ne suis pas Jazia...