Par Naoufel BEN RAYANA le 14 janvier, le 17 décembre ne serait qu'un fait divers! D'ailleurs, il ne faut pas aussi oublier, entre autres évènements, les événements du weekend du 9 janvier 2011 à Thala et Kasserine et la grève générale du 12 janvier 2011 à Sfax. Pour avoir observé tous ces événements de près et l'impact qu'ils ont eu sur la liberté des médias et plus généralement sur la liberté d'expression de tous les Tunisiens, et parce qu'il y a eu des dizaines de martyrs, je trouve que c'est insultant pour ces derniers et pour tous les Tunisiens de dire que c'était «un complot fomenté de l'étranger» ou bien de qualifier ces événements de « ثورة البرويطة», etc. Ce qui s'est passé en décembre 2010 et en janvier 2011 est l'étincelle d'une vraie révolution authentique, historique et originale à l'échelle mondiale à bien des égards, n'en déplaise à ses détracteurs. Mais, sans une réelle transition politique doublée d'une transition socioéconomique, elle figurerait dans l'histoire comme une «simple révolte»! Cette révolution reste inachevée car il y a eu entre-temps beaucoup d'interférences étrangères mais surtout locales (les petits calculs partisans notamment) et parce qu'il y a eu beaucoup d'incompétence dans la gestion des affaires publiques. Cette mauvaise gouvernance manifeste s'est traduite tout au long de la dernière décennie dans la détérioration à vue d'œil de l'économie du pays, dans l'appauvrissement de centaines de milliers de Tunisiens, dans l'érosion de la fameuse classe moyenne, autrefois fierté du pays, etc. Il est inutile d'énumérer toute la liste des dégâts : tous les Tunisiens connaissent par cœur le diagnostic ! Toutefois, à mon avis, le mal originel a été la justice aux ordres qui a fermé les yeux sur beaucoup d'abus et qui a consacré l'impunité. La justice a manqué au pays pour parfaire sa révolution et à en être sa pierre angulaire. Jamais la fameuse citation d'Ibn Khaldoun «العدل اساس العمران » n'a été d'une aussi grande actualité ! Ce qui s'est passé le 25 juillet (peu importe à mes yeux les qualificatifs !) a arrêté les frais du mal governo de toute la décennie qui a entraîné l'Etat au bord de l'effondrement. Mais, comme on dit au rugby, il faut transformer l'essai ! Le président Saïed concentre aujourd'hui l'essentiel des pouvoirs entre ses mains. Il sera redevable de ce qu'il en fait: ou bien il va mener la révolution à bon port ou bien il va l'enterrer (avec le risque d'une nouvelle révolution, cette fois-ci plus classique et moins originale que celle de 2010-2011) ! Les Tunisiens ne pardonneraient à personne tout retour durable vers l'autocratie. Saïed a pris en main les rênes du pays et il sera jugé sur ses résultats. S'il parvient au terme de sa feuille de route à offrir aux Tunisiens un cadre politique décent (nouvelle constitution simplifiée (pas un code de la route de 300 pages!) à même de respecter le citoyen Tunisien, de lui garantir ses droits, de lui signifier ses devoirs ainsi qu'une loi électorale en mesure d'assurer une représentativité optimale des Tunisiens à travers leurs élus loin de tout bricolage utopique), de remettre les institutions en état normal de marche avec une réelle séparation des pouvoirs, de consolider la démocratie par des lois applicables, etc. , dans ce cas, il aurait accompli les aspirations des citoyens tunisiens. Mais aussi en jouant le jeu de l'économie du marché (en vigueur dans 90% des pays du monde et surtout dans 100% des pays qui réussissent), en libérant les énergies fantastiques des jeunes Tunisiens, loin de toute démagogie d'un autre siècle et tout en assurant le rôle social et de distribution des richesses assumé par l'Etat. Le président est observé de près par les partenaires étrangers de la Tunisie (on ne vit pas en autarcie !)…mais aussi et surtout par les Tunisiens qui, tôt ou tard, vont lui demander des comptes. Loin de tout alignement avec ou contre le président, je pense qu'il récoltera les dividendes (y compris dans les livres d'histoire) s'il arrive à terme à satisfaire les aspirations des Tunisiens sur les plans politique, économique et social et à remettre la révolution sur les rails afin que les Tunisiens vivent dignement et que le pays exploite pleinement son potentiel humain, géostratégique et économique. Cela dit, il ne pourrait le réaliser qu'en revenant au plus vite au fonctionnement normal d'un Etat de droit et s'écartant des solutions utopiques et inopérantes, soufflées par des idéologues d'un autre âge déconnectés des réalités du pays et du monde. Dans le cas contraire, il en paierait le prix fort (y compris une petite ligne dans les livres d'histoire pour reprendre son expression), s'il échoue à convaincre dans l'accomplissement de sa feuille de route. En 2022, Kaïs Saïed joue son va-tout !