Avec la révolution tunisienne, «on tourne une page complète. C'est le premier mouvement dans lequel la subjectivation du mouvement va se faire à travers le numérique», estime l'écrivain français Jean-Marc Salmon, auteur du livre «26 Jours de Révolution, histoire du soulèvement tunisien 17 décembre 2010-14 janvier 2011» paru en janvier 2016. Lors de la présentation de son livre, dans le cadre de la Foire internationale du livre de Tunis 2016 (Filt), Salmon a évoqué un côté «complètement nouveau de ce qui s'est passé en Tunisie entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, qui s'est surtout manifesté par un mouvement circulaire et en boucle entre la rue et le virtuel». Historiquement, il estime que «dans toutes les révolutions à travers le monde, on a toujours pensé qu'il faut des journaux, des tracts, des écrits pour faire une révolution». En Tunisie, «l'absence d'un leader a été en quelque sorte remplacée par le rôle très important du numérique», selon les propos du chercheur en sciences sociales et ancien directeur du livre français à New York. Pour lui, la révolution tunisienne se distingue par deux traits spécifiques; le premier consiste en un mouvement qui stipule que personne ne peut se placer en tant que dirigeant ou porte-parole, «ce qui est extrêmement original dans la tendance des mouvements sociaux du XXIe siècle». Le second point réside dans le rôle du numérique et surtout des cyberactivistes et blogueurs. Dans son enquête — basée sur 95 entretiens — menée auprès d'acteurs dans la révolution, Salmon a suivi une ligne chronologique en optant pour une reconstitution, événement par événement, de ce moment de révolte, partant de Sidi Bouzid en passant par Kasserine jusqu'à Tunis. Evoquant l'absence de témoignages de personnalités politiques qui étaient «dans le système», Salmon s'exprime en ces termes, «c'était une période de flottement et il n'était pas possible de recueillir des témoignages car beaucoup d'entre eux étaient déjà en justice ou en prison». Quant au choix de la date du 14 janvier 2011, comme date finale pour son enquête, Salmon précise «qu'il s'agit d'un choix pratique et scientifique à la fois. Car pour les historiens, cette date marque la fin de la première république qui a connu les régimes de Bourguiba et Ben Ali». Le 14 janvier signifie en même temps «le début d'une nouvelle période qui s'ouvre vers la 2e république». Revenant sur la question d'appellation «Révolution» ou «Soulèvement», Salmon estime que «dans tout processus de ce genre et dans tout soulèvement, il y a deux aspects : la dynamique de la rue à l'origine de la crise et la décomposition du système à travers ce qu'on appelle les révolutions de palais». Cela dit, «à la lumière de ce qui s'est passé en Tunisie, il est difficile d'installer le curseur clairement entre ces deux interprétations. C'est quelque part entre les deux». D'où l'intitulé de son ouvrage. A ce sujet, il avance qu'au moment «où les citoyens tunisiens l'ont vécu comme une révolution, on ne peut que respecter ce point de vue». Mais pour «un sociologue et historien comme moi, il s'agit bien d'un soulèvement», a-t-il fait observer.