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Mohamed-Chérif FERJANI, politologue, Professeur honoraire à l'Université Lyon 2, à La Presse : «Les islamistes font tout pour créer une situation semblable à celle qui prévaut en Libye»
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 04 - 2022

La crise politique ne cesse de s'aggraver en Tunisie. Si pour les opposants du Président de la République, la dissolution du Parlement ne fait qu'enfoncer le clou dans ce qu'ils appellent une dérive de la démocratie tunisienne, pour Kaïs Saïed ces dispositions sont indispensables pour protéger l'unité de l'Etat tunisien. Mohamed-Chérif Ferjani, professeur honoraire à l'Université Lyon 2, président du Haut conseil de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, chercheur associé de plusieurs laboratoires et centres de recherches dont l'Iserl à Lyon et l'Irmc à Tunis, revient sur les derniers développements en Tunisie. Il est auteur de nombreux travaux concernant l'étude comparée des religions et des systèmes politiques, la gestion de la diversité culturelle et religieuse, la sécularisation et la laïcité, les droits humains, l'histoire des idées politiques et religieuses, dont : Néolibéralisme et révolution conservatrice (Nirvana, Tunis 2021). D'ailleurs dans ce dernier livre, il traite des évolutions que connaît le monde depuis les années 1970 sous l'effet d'une double mondialisation : celle du néolibéralisme et celle de la révolution conservatrice qui semblent s'opposer mais qui s'alimentent mutuellement. Interview.
Commençons par l'actualité. En tant que politologue, comment interprétez-vous les derniers rebondissements en Tunisie, surtout la dissolution du Parlement ?
Les derniers rebondissements s'inscrivent dans une dynamique qui a son origine dans la configuration du paysage politique issue directement des dernières élections, et indirectement de l'esprit de l'organisation des pouvoirs publics incarné par la Loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011, portant sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Cet esprit fut reconduit par la Constitution de 2014 et aggravé par l'absence d'une Cour constitutionnelle dont la création fut bloquée par Ennahdha et ses alliés. Jusqu'où ira Kaïs Saïed dans la réalisation de son objectif ? Va-t-il convoquer des élections législatives anticipées dans le délai de 90 jours prévu par l'article invoqué, et sur la base de quelle loi électorale et de quelle organisation des pouvoirs publics ? Ou va-t-il maintenir son calendrier pour la modification de la Constitution et de la loi électorale, validée par un référendum (le 25 juillet) avant la tenue des élections législatives le 17 décembre 2022 ?
Certains craignent une guerre de légitimité en Tunisie, comme le cas de la Libye. Qu'en pensez-vous ?
Les islamistes, dont Ennahdha, ses dissidences non assumées, les salafistes et leurs pare-chocs, font tout, faute d'imposer un retour à l'avant-25 juillet, pour créer une situation semblable à celle qui prévaut en Libye. Il faut dire que les prémices d'une telle situation de «double légitimité» existent depuis qu'Ennahdha a réussi à opposer aux locataires successifs de Carthage des gouvernements soumis aux majorités parlementaires dont elle est le pivot. Kaïs Saïed a essayé, par le coup de force de juillet 2021, de mettre fin à cette situation. Mais son inconséquence l'a empêché d'aller jusqu'au bout de son entreprise, laissant par là la porte ouverte à la résurgence de la situation de « double légitimité ». C'est ce qui s'est passé avec la convocation et la tenue d'une plénière proclamant l'annulation de tous les décrets-lois promulgués depuis le 25 juillet 2021. C'est aussi ce qui se passe, certes de façon très marginale mais suffisamment grave, avec l'entité salafiste djihadiste qui se maintient à Djebel Châambi depuis près de dix ans. Cependant, la situation de la Tunisie ne permet pas la division du pays en deux entités comme celles incarnées par les pouvoirs à Benghazi et à Tripoli. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que les institutions régaliennes de l'Etat, ou même la population, accepteraient un tel scénario.
Comment jugez-vous le processus du 25 juillet jusque-là ?
Comme je l'ai toujours rappelé, en l'absence d'une Cour constitutionnelle qui aurait pu sortir le pays de l'impasse à laquelle ont conduit les politiques d'Ennahdha et de ses alliés successifs — de la Troïka à Nida Tounès et ses ramifications, avant Qalb Tounès et la Coalition dite d'Al-Karama, mais aussi al-Tayyâr, Harakat Al-Chaab et certains «indépendants» —, et devant l'impossibilité de concrétiser les propositions de dialogue national, le coup de force de Kaïs Saïed a représenté une lueur d'espoir et une réponse aux attentes d'une population désespérée par la détérioration de ses conditions de vie, par le spectacle qu'offraient les séances de l'Assemblée nationale, par la déliquescence des services publics et des institutions de l'Etat, etc. Cependant, le rêve s'est, au fil des jours, brisé : l'indécision et les hésitations du Chef de l'Etat ont donné l'espoir de reprendre les positions perdues aux islamistes et à leurs soutiens intérieurs et étrangers. Le désenchantement prend, petit à petit, la place de l'espoir. Si la situation perdure, le pays risque de sombrer, de nouveau, dans le désespoir et la peur de l'avenir incertain.
Cette dynamique amorcée par le 25 juillet a-t-elle cassé d'une manière ou d'une autre le pouvoir et l'organisation des partis politique en Tunisie ? Vivons-nous l'ère du déclin des partis politiques au profit des courants populistes ou autres ?
Bien avant le 25 juillet 2021 et le processus qui s'en est suivi, les partis politiques et beaucoup d'organisations — y compris les plus prestigieuses, comme l'Ugtt—, ont perdu de leur influence et de leur crédibilité. Les différentes formes de compromission avec l'islam politique ne sont pas étrangères à cette perte d'influence des corps intermédiaires accusés, à tort et/ou à raison, sinon de complicité, du moins de complaisance avec les islamistes. Les perdants sont ceux qui ont noué des alliances avec Ennahdha, avant et/ou après la révolution. Le populisme et le conservatisme à l'œuvre dans les critiques ciblant — par-delà les partis politiques, les corps intermédiaires et les élites —, la démocratie en général et la démocratie représentative en particulier, ne sont pas étrangers à la perte de confiance dans les organisations et les partis politiques. Ceci est loin d'être une exception tunisienne. Le néolibéralisme privant l'Etat — et les élites ou les partis en compétition pour le diriger — des moyens de garantir les solidarités nécessaires à la cohésion de la société et au vivre-ensemble, les exclus, réduits au statut de « déchets » de l'économie de marché, se détournent de plus en plus d'une démocratie dont les protagonistes, à peine élus, oublient leurs promesses et se vendent à ceux qui tirent les ficelles de la mondialisation néolibérale. Jetant le bébé avec l'eau du bain, ils rejettent la démocratie et les droits humains avec ceux qui ne cessent de les duper; l'humanité ne pouvant se vivre dans la solitude des êtres coupés de tout lien social, ils sont récupérés par le complément nécessaire du néolibéralisme : les replis identitaires sur les solidarités de proximité qui les détournent des libertés et des droits humains pour en faire des soldats des «identités meurtrières» les opposant les uns aux autres. Ils se trouvent ainsi enrôlés dans les différentes expressions de la révolution conservatrice se conjuguant avec les «fondamentalismes religieux», les nationalismes chauvins, les solidarités confessionnelles, ethniques, tribales et avec les différents particularismes opposés à l'universalité de l'humain et de ses droits.
Selon vous, le Président de la République a-t-il contré l'Islam politique en Tunisie ?
Le rapport de Kaïs Saïed à l'islam politique est complexe : il a été porté au pouvoir, comme Moncef Marzouki, par l'islam politique qui pariait sur l'absence d'une base électorale qui lui est propre pour le manipuler et en faire un pantin exécutant ses besognes. Cependant, Kaïs Saïed n'est pas un homme qui se laisse manipuler comme Marzouki. Il se croit investi d'une mission à laquelle il semble prêt à tout sacrifier, y compris sa propre vie. Droit dans ses bottes, il a réussi, plus que Marzouki et même plus que Béji Caïd Essebsi, à tenir tête aux islamistes et à contrer leurs manœuvres. Cependant, il ne semble pas avoir la clairvoyance et la souplesse nécessaires pour aller jusqu'au bout de l'accomplissement de la mission dont il se croit investi. Les islamistes ont montré qu'ils sont prêts à tous les revirements pourvu qu'on leur pardonne leurs forfaits. Ils sont capables, à l'instar d'Erdogan, de puiser dans le nationalisme qu'ils ont longtemps opposé à l'islamisme les moyens de se donner une légitimité que la religion ne suffit plus à préserver.
Les différents sondages d'opinion prédisent une victoire du Parti destourien libre aux législatives. Pensez-vous que le PDL est prêt à assumer cette lourde responsabilité dans ces circonstances ?
S'il y a une force politique prête à prendre le relais de l'islam politique et qui a contribué à son affaiblissement, c'est le PDL. C'est son opposition résolue à Ghannouchi et aux islamistes, comme à leurs alliés, qui lui vaut une popularité qui manque aux partis et mouvements décrédibilisés par leur complicité ou leur complaisance à l'égard de l'islam politique. Cependant, aucun parti ne pouvant plus gouverner tout seul, quel que soit le mode de scrutin qui sera adopté, qui acceptera de gouverner avec un parti refusant de reconnaître la légitimité de la révolution et semblant ainsi vouloir restaurer l'ordre d'avant 2010 ? La plupart de celles et ceux qui ne veulent plus d'un retour à l'avant-juillet 2021 ne veulent pas non plus d'une restauration du régime de Ben Ali.
L'Ugtt joue désormais un rôle politique et appelle à l'impliquer dans tout processus de résolution de la crise. Selon vous, l'Ugtt a-t-elle dépassé son rôle purement syndical en dépit de son capital de militantisme ?
Dans les moments de graves crises, l'Ugtt a toujours joué un rôle politique à la demande de la société et des partis politiques. C'était le cas au début des années 1950 lorsque la direction du mouvement national a été décapitée par l'administration coloniale. C'était aussi le cas au milieu des années 1950 avec la crise consécutive à l'opposition entre Bourguiba et Ben Youssef en 1978 et pendant la révolution de décembre 2010- janvier 2011 ou encore en 2013 pour sortir de l'impasse du règne de la Troïka du temps de la Constituante. En 2020 et depuis 2021, l'Ugtt est la seule force qui a proposé des pistes crédibles pour un dialogue en vue d'une sortie des impasses auxquelles ont conduit les politiques d'Ennahdha et de ses alliés qui ne font qu'éloigner le pays, depuis plus de dix ans, des objectifs pour lesquels le peuple s'est révolté contre le régime de Ben Ali. Face à une classe politique embourbée dans les compromissions avec l'islamisme ou dans ses querelles de chefs et de chapelle, l'Ugtt, malgré l'affaiblissement qu'elle a connu du fait de ses divisions et du corporatisme de certaines fédérations syndicales, reste la principale force autour de laquelle peut se construire une alternative.


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