Par Soufiane BEN FARHAT Le Pakistan connaît ses pires inondations depuis 80 ans. Le bilan est lourd: près de deux mille morts, 4,8 millions de sans-abri et 20 millions de sinistrés jusqu'ici. Les autorités ont ordonné hier de nouvelles évacuations dans la province du Sind, dans le sud du pays, en raison de la crue du fleuve Indus consécutive aux pluies de mousson exceptionnelles. On prévoit pour cette année un recul de l'économie de 5 à 10%, ainsi que des pénuries alimentaires, des épidémies et une augmentation de l'inflation. Et il n'est guère exclu que la catastrophe naturelle entraîne des bouleversements politiques. Le pouvoir civil ayant mal géré la crise, cela pourrait favoriser le retour de l'armée aux affaires. Aux dires de nombre d'observateurs avertis, ces inondations devraient logiquement entraîner la chute du régime Zardari. Un régime pointé du doigt pour son incompétence face à la crise. Les experts prédisent donc le changement du régime. Mais l'incurie frappe la classe politique pakistanaise dans son ensemble. Ainsi en est-il du gouvernement de Nawaz Sharif au Pendjab et du Parti national Awami (ANP). Ils sont, eux aussi, pris à partie pour corruption, incompétence, négligence et népotisme. Etrangement, seule l'armée pakistanaise est épargnée. Son chef, le général Ashfaq Kayani, s'est montré partout entreprenant, dirigeant des secours d'urgence particulièrement couverts par les médias. Ça ne pouvait tomber à un pire moment. Le Pakistan est en effet, depuis quelques années, dans la zone des tempêtes. Il est pris entre les feux croisés des contrecoups de la guerre d'Afghanistan et de sa légendaire rivalité avec l'Inde. Cela lui a valu une décennie de bouleversements, de violences et d'instabilité chronique. Des années sans pardon qui se greffent sur les décennies mouvementées de ce pays fondé en 1947 et ayant connu jusqu'ici pas moins de trois guerres ravageuses avec l'Inde. Sans parler du parcours politique sinueux alternant les périodes démocratiques et les dictatures militaires ponctuées de coups d'Etat, d'offensives terroristes et de contre-offensives d'envergure. Au Pakistan plus qu'ailleurs, l'histoire et la géographie sont accidentées. Le pays entretient et subit une tension permanente avec l'Inde depuis sa création en raison, notamment, du Cachemire. Il gère également des relations d'équilibre catastrophique avec l'Afghanistan en raison des régions tribales du nord-ouest. Les talibans y évoluent comme des poissons dans l'eau eu égard aux donnes démographiques et sociohistoriques. Le Pakistan est en fait un mastodonte. Il ne compte pas moins de 180 millions d'habitants, soit le sixième pays le plus peuplé du monde, avec la deuxième plus nombreuse population musulmane après l'Indonésie. Et il fait partie de surcroît du club restreint des pays disposant de l'arme atomique. Il ne laisse guère indifférent, à l'Est comme à l'Ouest, au Nord comme au Sud. Autant dire un géant aux pieds d'argile. Les inondations ont révélé les failles structurelles du pays. Ce qui explique le fait que les nébuleuses terroristes y ont toujours déniché un terreau fertile, que ce soit dans la vallée de Swat ou dans les zones tribales du Nord-Ouest. L'instabilité politique chronique en rajoute aux ingrédients du chaos permanent. Il est vrai que le jeu impérial des grandes puissances régionales et planétaires y concourt substantiellement. Aujourd'hui, la Maison Pakistan est aux prises avec une catastrophe naturelle qui a mis à nu ses déficiences institutionnelles. La tentation est grande pour que certains en prennent prétexte pour s'aviser d'infléchir à leur aune la destinée politique du pays. Certains, en l'occurrence, peuvent impliquer autant des forces intérieures qu'étrangères. Et, dans tous les cas de figure, le Pakistan ne semble pas prêt de sortir de la tourmente.