Si les deux alliés ne sont plus d'accord, c'est la guerre des chefs et des chiffres qui s'offre depuis l'hémicycle, le spectacle vaut le détour. L'examen de l'article 54 présente à cet effet un cas d'école. Ce texte est l'une des dispositions les plus problématiques de l'ensemble de la loi bancaire, disposant entre autres que dans chaque banque, une structure indépendante des structures de la banque, appelée comité de contrôle, est chargée d'examiner la conformité des opérations avec les normes charaïques La plénière portant sur le réexamen du projet de loi N°09/2016 relatif aux banques et établissements financiers a démarré hier. Annoncée invariablement à 9h, la séance a commencé à son heure habituelle, c'est-à-dire entre 10h et 10h30, en présence de 130 députés. Le perchoir était au grand complet avec le président Mohamed Ennaceur flanqué de ses deux vice-présidents. Le gouverneur de la Banque centrale, le ministre des Finances, le ministre chargé des Relations avec le parlement et leurs staffs étaient tous là. L'heure est grave. Adopté le 12 mai, ledit projet de loi a fait l'objet d'un recours auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, déposé par l'opposition associée au bloc El Horra, dont le positionnement (majorité ou opposition) n'est pas clair, et de quelques indépendants. La saisine parlementaire représentée par le président du Front populaire Ahmed Seddik et celui du groupe El Horra, Abderraouf Chérif, a été acceptée sur la forme et sur le fond. Le texte de loi est renvoyé à l'Assemblée pour réexamen. Au regard du déroulement de l'opération de vote article par article lancée l'avant-veille, ce n'est point la totalité du texte de loi, comportant plus de 200 articles, qui fait l'objet de recours mais certaines dispositions, pour lesquelles les députés-requérants proposent des amendements. Mécanisme du vote L'article 32 portant sur le capital minimal pour la création d'une institution bancaire en fait partie. Arrêté à 25 millions de dinars initialement, le capital est augmenté à 50 millions. L'amendement préconise le doublement de la somme pour atteindre 100 millions de dinars requis pour ouvrir une banque. Deux élus se sont affrontés, Abderraouf El May du bloc El Horra, favorable à l'augmentation du capital en vue du renforcement du système bancaire national, défend-il, et Mohamed Ben Salem qui avance l'avantage concurrentiel. Certains pays européens requièrent, selon l'élu d'Ennahdha, un fonds beaucoup plus restreint de l'ordre de 7 millions de dinars. Soumis au vote, 73 voix rejettent l'amendement, 27 lui sont favorables et 7 s'abstiennent. La version est maintenue telle quelle, le capital minimum est fixé à 50 millions de dinars. L'article est adopté. Le mécanisme du vote est clair. Si les deux grands groupes politiques, Ennahdha et Nida Tounès, respectivement 69 et 61 sièges, tranchent dans le même sens, le vote est sécurisé. Ils peuvent décider d'accepter ou de rejeter avec une majorité confortable tel ou tel amendement proposé par les députés saisissants. Mais si les deux alliés ne sont plus d'accord entre eux, c'est la guerre des chefs et des chiffres qui s'offre depuis l'hémicycle, le spectacle vaut le détour. L'examen de l'article 54 présente à cet effet un cas d'école. Suspension de la séance C'est l'une des dispositions les plus problématiques de l'ensemble du texte de loi, disposant entre autres que dans chaque banque ou institution financière, « sairafia al islamia », une structure, indépendante des structures de la banque, appelée comité de contrôle est chargée d'examiner la conformité des opérations avec les normes charaïques. Ce comité constitué de trois membres, désignés pour un mandat de trois ans reconductible une fois, seront choisis pour leurs connaissances du « fikh al mouamalat al islamia », la science du droit islamique économique, et sont chargés d'apprécier la validité des contrats. S'il y a une modalité qui consacre sans l'ombre d'un doute le dédoublement voire le «démantèlement de l'unité du système national juridique et financier », c'est bien celle-là. Ce comité est compétent pour apprécier la validité des contrats et des produits, il décidera de leur conformité à l'égard des normes charaïques, et ses opinions s'imposent aux banques et aux institutions financières. Les amendements sont venus réduire le pouvoir dudit comité et le réglementer, en modifiant quelques termes chargés sémantiquement pour les remplacer par un vocabulaire technique et neutre. Si les élus nidaïstes avaient reçu des consignes de vote leur prescrivant de rejeter les modifications et de s'aligner avec la position de leurs alliés nahdaouis, ils les ont ignorées sans vergogne. Résultat, l'article amendé est accepté avec 75 voix pour, 4 abstentions et 53 contre. Mathématiquement, en calculant les absences dans ses rangs, Ennahdha s'est retrouvé seul à voter contre les amendements de l'article 54. Stupeurs et tremblements, Noureddine Bhiri, regarde le tableau d'affichage et exige, « en sa qualité du président de bloc », la levée de la séance manu militari. Echec au premier examen Avec la reprise et l'annonce hésitante du ministre des Finances , Slim Chaker, totalement désorienté, de la décision du gouvernement de proposer une nouvelle formulation dudit article, une guérilla verbale éclate sous la coupole avec en toile de fond une bataille idéologique. Mongi Rahoui, Abada Kéfi, Ziad Lakhdhar, Samia Abbou, les partisans des modifications, toutes tendances confondues, ont appuyé leurs interventions de justificatifs juridiques stipulant que l'article est voté dans sa version amendée et qu'il est interdit et illégal, selon le règlement intérieur, de revenir en arrière. Samir Dilou, Noureddine Bhiri, Habib Khedher, chacun à sa manière, a tenté de répondre aux critiques avec force développements. Une élue a eu, de surcroît, la mauvaise idée d'évoquer l'immense honneur de son parti de défendre les finances islamiques et à travers elle l'islam, et a soulevé un tollé de protestations. Mohamed Ennaceur, pris entre le marteau et l'enclume, décide le report de l'examen de cet article très litigieux. Le calme est revenu, ainsi que les souvenirs des dures séances de l'élaboration de la Constitution où les fondamentaux de l'Etat civil étaient remis en cause. La posture du parti Ennahdha soulève au final deux interrogations : cet acharnement à défendre la terminologie islamique et une formulation rejetée par tous de l'article est pour le moins incompréhensible. Pire, cette position bat en brèche les recommandations et nouveaux principes dégagés du dernier congrès et annoncés comme le signe d'une nouvelle mutation du mouvement. Deuxièmement, par leur refus ces élus ont agi de manière antidémocratique. Sinon comment qualifier le refus de reconnaître le résultat d'un vote libre, démocratique et transparent ? Dommage !