La question des lois de l'héritage a été portée par des générations successives de réformistes et de femmes à travers le temps qu'il faudra de l'habileté et une longue préparation pédagogique avant de la soumettre au débat, plutôt que de la jeter en pâture, ce qui semble être le cas. Certains parlementaires parlent d'opération de communication, pire de diversion politique Une proposition de loi provenant du député indépendant Mehdi ben Gharbia, a été ébruitée dans les médias ces derniers jours. Celle-ci porte sur la question hautement sensible des lois de l'héritage et appelle à l'égalité entre les hommes et les femmes. Une fois déposée sur le bureau de l'ARP, première étape de la procédure, l'initiative devra être validée après délibération par les membres du bureau et soumise à la commission compétente. Dix signatures sont requises avant le dépôt de ladite proposition. Pendant que la bulle médiatique continue d'enfler, certains parlementaires ont manifesté leur totale adhésion à l'initiative et l'ont fait savoir. D'autres, plusieurs tendances confondues, rencontrés dans les couloirs du palais du Bardo, ont laissé voir leur vif malaise et préféré ne pas se prononcer. Chacun étayait son refus par des raisons propres. En plus de la prudence, voire de la suspicion à l'encontre de cette proposition et de son timing, pour nombre de juristes, le contenu du texte n'étant pas diffusé ni son argumentaire, ils ne peuvent, de fait, émettre un avis de droit ou à caractère personnel sur la base du ouï-dire. Nous sommes contre Interrogé par La Presse, Habib Khedher, député du parti Ennahdha, qui affiche un taux de présence dans les plénières de 96% et 87% de participation au vote a accepté d'en parler en commençant par dire que l'égalité dans l'héritage ne rendrait pas service à la femme, en plus de porter atteinte au Code du statut personnel, de s'opposer aux dispositions de la Constitution et également aux préceptes de l'islam. Nous avons demandé à l'ancien rapporteur de la Constituante de nous expliquer de quelle manière l'égalité dans l'héritage limitait le droit des femmes. «Il ne faut pas considérer les dispositions de l'héritage de manière superficielle, mais dans certains cas la part de la femme est supérieure à celle de l'homme. Et c'est vrai dans d'autres situations où l'homme recevait plus, sa part en sera diminuée si l'égalité était appliquée». Le rejet du député se fonde essentiellement sur des considérations religieuses. Selon lui, cette proposition de loi s'oppose frontalement aux versets du Coran qui détaille les quote-parts de l'héritage. Pourtant, nombre de préceptes du Coran ont été contournés, pourquoi pas l'héritage ? «Il y a une différence, répond M. Khedher, entre interpréter un verset en se basant sur «l'ijtihad», effort de réflexion, d'un exégète et tenter de le moderniser pour l'adapter aux conjonctures, et entre la volonté de transgresser une loi divine. L'héritage rentre dans cette catégorie», a-t-il tranché. Et si l'on se basait sur la démarche des «makassed», finalités? D'après notre interlocuteur, cette démarche ne doit pas s'opposer à un texte du Coran clair et précis comme les dispositions touchant aux lois de l'héritage, et d'une manière générale, étaye notre interlocuteur, il arrive qu'une loi soit injuste envers des cas isolés». Pour tout dire et mettant de côté toutes ces appréciations, le député Habib Kheder l'a annoncé clairement, «tout ce qui est énoncé dans le Coran nous y croyons, même si nous ne comprenions pas sa visée, nous l'acceptons, c'est une question de foi». Voilà qui est clair ! Le président du bloc El Horra, Dr Abderraouf Chérif qui affiche un taux de présence dans les plénières de 99% et 78 % de participation au vote est lui aussi contre cette proposition de loi mais pas pour les mêmes raisons. Interrogé par La Presse, il s'explique : «D'abord nous n'avons pas été consultés en tant que bloc, deux députés d'El Horra ont signé de manière individuelle, ce qui n'engage pas le groupe. De plus, analyse l'élu, nous sommes totalement contre cette initiative, voilà pourquoi : la loi sur l'héritage ne représente pas une priorité, en ce moment précis, nous sommes en train de travailler sur le projet de loi bancaire et sur la question épineuse de la «sayrafa el islamia», finances islamiques, sur un autre projet de loi portant sur les terrains collectifs et enfin sur un troisième projet de loi sur les élections municipales. Trois grands chantiers, souligne l'élu, qui contribuent à la refondation de la Tunisie et qui doivent être adoptés le plus rapidement possible. Lorsqu'on propose un texte qui touche un sujet de cette importance, il faut que tout soit étudié, la pertinence, le contenu, le timing, l'impact et il faut impliquer les Tunisiens, conclut le député fermement. Mehdi Ben Gharbia, qui présente un taux de présence dans les plénières de 78% et 33% de participation au vote restait injoignable. C'est Bochra Bel Haj Hmida, députée du bloc El Horra, qui a défendu l'initiative et c'est Yamina Zoghlami du parti Ennahdha qui s'est chargée de l'attaquer. Il reste que la question des lois de l'héritage a été portée par des générations successives de réformistes et de femmes à travers le temps, qu'il faudra de l'habileté et une longue préparation pédagogique avant de la soumettre au débat, plutôt que de la jeter en pâture, ce qui semble être le cas. Certains parlementaires parlent d'opération de communication, pire, de diversion politique.