Les professionnels se disent menacés dans leurs sources de revenus et leur gagne-pain par le raz-de-marée des intrus implantés au mépris des lois en vigueur. A l'Union régionale de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Urica) de Sfax, on est en proie à un profond sentiment de dépit, résultante du laxisme frustrant de l'administration et de la prépondérance de l'anarchie dans le secteur économique à l'échelle de la région. En effet, dans les secteurs d'activité organisés, c'est la colère, exacerbée par le sentiment d'impuissance. Les professionnels se disent menacés dans leurs sources de revenus et leur gagne-pain par le raz-de-marée des intrus, implantés au mépris des lois en vigueur, faisant un pied de nez à la légalité et exerçant leurs activités dans l'impunité la plus totale. Diktat des lobbies Mohamed Rebaîi, membre du bureau exécutif de l'Urica-Sfax, n'hésite pas à exhaler sa rancœur à l'égard de ce qu'il tient à qualifier d'Administration mafieuse, de plus en plus l'otage de lobbies à la solde de parties bien déterminées : «La violation de la législation régissant les secteurs de l'industrie, du commerce et de l'artisanat est devenue la règle, au vu et au su de la Police municipale, de la Protection civile, des services d'hygiène et des délégués, sans susciter de réactions salutaires de la part des autorités régionales», déplore notre interlocuteur, qui rappelle : «L'autorité de l'Utica, déjà sévèrement battue en brèche sous l'ère de Ben Ali, a fini par s'effondrer sous l'effet du travail de sape mené progressivement et méthodiquement par des fonctionnaires véreux soumis au diktat de bandes occultes et bien organisées. Aujourd'hui, nous ne faisons que constater les dégâts». En matière de dégâts, l'Union régionale de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Urica) de Sfax tire la sonnette d'alarme et met en garde contre le phénomène de dépérissement qui frappe une bonne partie de professionnels des secteurs organisés, c'est-à-dire ceux qui s'acquittent de leurs impôts, au profit de concurrents assimilés à des parasites nuisibles à la communauté. Trouver chaussure à son secteur Les secteurs dits mineurs sont les victimes les plus vulnérables de cet état d'anarchie unanimement déploré. Dans le secteur du cuir et de la chaussure, on fait état de l'importation en 2015 de 36 millions de paires de chaussures, pour une population de moins de 12 millions d'habitants ! L'impact des importations anarchiques est tel que, selon Youssef Ben Ahmed, membre du bureau exécutif de l'Urica et président de la Chambre syndicale des matières premières pour chaussures, le nombre de professionnels a connu une réduction d'environ 50% entre la fin des années 1990 et 2016, soit anciennement situé entre 6.000 et 8.000, contre 3.000 à 4.000 actuellement. Outre l'inondation du marché par l'importation inconsidérée de marchandises, Ben Ahmed stigmatise la soumission des articles finis et des matières premières à la même taxe de 20% : «Saugrenu ! Il n'y a pas d'autres termes pour qualifier cette injustice qui favorise la marchandise étrangère et qui rend vulnérables l'industriel et l'artisan tunisiens en affaiblissant leurs capacités compétitives, face aux marchandises importées. De plus, à toutes ces difficultés, liées également à la récession économique, s'ajoute la rareté de la main-d'œuvre qualifiée en raison de la diminution du nombre de centres de formation». Mohamed Rebaîi cite un grand nombre de secteurs mineurs et de petits métiers et commerces victimes des coups de boutoir de la concurrence déloyale, dont nous allons mentionner trois exemples. Les fruits secs, à bouchées doubles Si, selon lui, les secteurs des cafés et de l'alimentation générale de proximité parviennent tant bien que mal à résister à la concurrence déloyale des marchands de fruits secs (hammassa), la grande majorité des 3.000 taxiphones, à l'échelle du pays, ont dû mettre la clé sous la porte. Pire ! Leurs gérants, pour la plupart des diplômés du supérieur, sont débiteurs vis-à-vis de la BTS. Il faut noter que les hammassa, au nombre de 5.000, rien qu'à Sfax, déjà favorisés par le régime forfaitaire, tiennent de mini-supérettes, participent à l'expansion du commerce parallèle et vendent souvent des produits malsains provenant de la contrebande. Zoom sur les photographes Idem pour le métier de photographe : «Déjà que la clientèle se fait rare en raison du boom de la photo numérique, il faudra, de surcroît, pour les photographes de subir la concurrence d'intrus qui exercent dans l'illégalité et nous ôtent le pain de la bouche !», dénonce, Fayçal Hbaieb, président de la chambre syndicale qui affirme : «Le nombre de professionnels titulaires d'une patente a chuté à Sfax-Ville de 200 en 2005, à environ une centaine, aujourd'hui. Si l'on n'institue pas la détention obligatoire de la carte professionnelle, nous serons acculés à l'abandon faute de pouvoir supporter les différentes charges de loyer, taxes, etc.». Faire fumée de toute cigarette Toujours selon les professionnels qui nous ont contactés, le sort des buralistes n'en est pas moins lamentable. Leur secteur a connu une véritable invasion durant les premiers mois post-Révolution, avec la pression exercée de toutes parts, à l'époque, par des demandeurs d'emploi et d'assistance de toutes sortes, qui étaient parvenus, par divers moyens de chantage au suicide et autres menaces, à soutirer des licences de toutes sortes et plus particulièrement des agréments pour l'ouverture de bureaux de tabac. «Or, faute de fonds de roulement, ces gens ont préféré céder leurs agréments à des profiteurs dont certains sont parvenus à disposer à la fois d'une quarantaine d'agréments. De quoi leur permettre de contrôler le marché et de s'adonner à des pratiques illicites de spéculation, obnubilés qu'ils sont par l'appât du gain. D'où les pénuries et les hausses illicites de certaines marques de cigarettes, surtout que le foisonnement d'agréments contribue à faire baisser le quota hebdomadaire des buralistes. Alors vivement un contrôle rigoureux pour assainir le secteur et sauver les gens honnêtes d'une faillite inéluctable, à moins qu'ils ne basculent à leur tour dans l'illégalité». Béquilles pour une légalité boiteuse Le secteur du matériel médical et paramédical n'est pas non plus épargné par le fléau de l'anarchie et des pratiques douteuses. Selon Mohamed Rebaîi, des étrangers au domaine médical louent des locaux, pour la forme, se contentant d'afficher leurs lignes téléphoniques au-dessus des portes qu'ils gardent fermées pour se soustraire à tout contrôle. Une fois contactés, et la commande reçue, il ne leur reste qu'à y répondre, sans autre forme de procès. Ainsi, à la lumière des protestations de l'Urica-Sfax, la cote d'alerte serait atteinte en raison de l'anarchie qui règne et qui est en train de saper les fondements de notre économie. A chaque institution, donc, d'assumer ses responsabilités pour réhabiliter les secteurs organisés pourvoyeurs de fonds pour le trésor public, créateur de postes d'emploi et producteur de richesses.