Encore une fois, c'est la confusion des genres. La communication gouvernementale s'avère contre-productive. Quoique, dans le cas d'espèce, il s'agisse initialement d'une non-communication embarrassée, voire coupable C'est ainsi que le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a annoncé au cours d'une conférence de presse, samedi à Varsovie, que l'Alliance atlantique compte établir un centre de fusionnement du renseignement en Tunisie. Il avait lié cela à une plus grande implication de l'Otan au Moyen-Orient, notamment en Irak et en Afghanistan, en Afrique du Nord et en Méditerranée. Le secrétaire général de l'Otan a légitimé cela parce que, à l'en croire, la Tunisie est «un pays de recrutement majeur du groupe Etat islamique (Daech)». Il a indiqué en même temps que l'Otan compte mettre en place une mission d'entraînement et de construction des capacités des forces armées irakiennes, du fait qu'il considère ce pays comme étant «central dans la lutte contre le groupe Etat islamique». L'annonce faite samedi est demeurée quasi-inexistante aux yeux des officiels tunisiens. Une manière d'y souscrire en quelque sorte. Il a fallu que certains commentateurs montent au créneau pour que le ministère de la Défense daigne réagir hier en fin de matinée. Et de quelle manière ! Ainsi, dans un communiqué, le ministère de la Défense dément catégoriquement «les informations relayées concernant la création, par l'Alliance atlantique (Otan), d'un centre de fusionnement du renseignement en Tunisie». Mais, précise le même communiqué, «le centre de fusionnement du renseignement existe depuis 2014 au sein du ministère de la Défense et il est financé par des investissements tunisiens et dirigé par des compétences militaires tunisiennes». Toutefois, le ministère précise que «dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale, les experts de l'Otan assurent la formation des militaires en se basant sur des techniques et des programmes de pointe ainsi que sur les normes en vigueur en matière de collecte, d'analyse et de publications d'informations relatives à la lutte contre le terrorisme». Pour être plus brouillon et contradictoire, assurer la chose et son contraire, il faut se lever tôt. Un manuel de ce qu'il ne faut pas faire en somme. En fait, lesdits centres de fusion du renseignement ont vu le jour d'abord aux Etats-Unis d'Amérique, au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001, avant d'être généralisés dans certaines aires d'intervention de l'Otan. Véritables bases opérationnelles au niveau de la collecte d'informations, de l'espionnage et du renseignement, ils ont tôt fait de devenir tristement célèbres. Ils sont intimement liés aux sales aspects de la guerre en général et des violations des droits civiques et humains en particulier. Renseignements pris, le centre de fusionnement du renseignement en Tunisie, tel que conçu par l'Otan, déborde sur toute la région. Il est nécessairement impliqué dans les affaires intérieures libyennes, algériennes, maliennes et subsahariennes. D'ailleurs, lors du Sommet de Varsovie, les alliés de l'Otan ont décidé d'accorder un soutien militaire accru aux pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, notamment via l'utilisation d'avions de surveillance de l'Alliance atlantique. Ils ont décidé aussi de lancer une nouvelle mission navale en mer Méditerranée appelée opération Sea Guardian. Le président américain Barack Obama a été on ne peut plus explicite à ce propos : «Nous sommes en voie de procéder au renforcement le plus important de notre défense collective depuis la guerre froide», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à la fin du Sommet de l'Otan en Pologne. En somme, le ministère de la Défense dément pour la galerie et confirme pour les alliés. Certains vont jusqu'à dire que les membres de l'Otan ne s'embarrassent guère de l'opinion de nos responsables. Ils se contentent d'en imposer sans soucis de scrupules ou états d'âme. Dès lors, les questions fusent. Qui a fait quoi ? Par quels canaux spéciaux la décision a-t-elle été diligentée ? En vertu de quel mandat les responsables tunisiens se sont-ils engagés dans ce processus particulièrement sensible auprès de larges franges de l'opinion ? L'assujettissement à l'Otan semble d'ailleurs le complément nécessaire de notre mise au pas financière par la Banque mondiale et le FMI. Qu'en pense M. Béji Caïd Essebsi, chef de l'Etat et chef suprême des forces armées ? Nos relations avec l'Algérie voisine en pâtissent, nécessairement. Est-ce dans notre intérêt ? Sommes-nous en mesure d'en supporter les conséquences ? Et voilà où nous en sommes. Obligés de naviguer à vue, à reculons et à rebrousse-poil de l'intérêt supérieur du pays. Faiblesse de nos dirigeants oblige. Compromissions inavouées aussi. L'opinion réclame des explications franches et non un semblant de communiqué contradictoire, à mi-chemin entre le canular et la schizophrénie.