Kaïs Saïed, réseaux d'embrigadement, Ahmed Souab… Les 5 infos de la journée    Fatma Mseddi interpelle Leila Jaffel pour serrer la vis à Sihem Ben Sedrine    Verdict dans l'affaire d'embrigadement : liste des peines prononcées    Détails des peines de prison prononcées contre les accusés dans l'affaire d'envoi aux foyers de tension    La STB Bank plombée par son lourd historique, les petits porteurs à bout !    Sadok Mourali rencontre les présidents du Club Africain et du CAB avant le derby de la 28e journée    914 millions de m3 dans les barrages tunisiens : Une première depuis 2019    Tunisie : Feu vert pour l'accélération des projets bloqués dans le secteur du transport    Un navire chargé d'aides à la bande de Gaza attaquée en pleine mer par des drones    Tunisie – 92% des ouvrières agricoles ne bénéficient pas de couverture sociale    Décès du chef du poste de police à Tozeur : les précisions du parquet    L'Algérie se prépare à tous les scénarii : "d'un état de paix à un état de guerre"…    Tunisie – METEO : Cellules orageuses sur les hauteurs du nord ouest    Alerte au tsunami après un séisme de magnitude 7,4 au Chili    Miss Tunisie 2025 : Lamis Redissi représentera la Tunisie à Miss World en Inde    Gymnastique rythmique : la Tunisie en lice au Championnat d'Afrique au Caire    Drame en Inde : une influenceuse de 24 ans se suicide après une perte de followers    Alerte au tsunami après un séisme de magnitude 7,4 près des côtes argentines et chiliennes    Liberté de la presse: La Tunisie se classe 129e sur 180 pays    Béja : Un homme de 82 ans se jette dans l'oued    Un bus ravagé par les flammes à l'entrée de Tunis    Bientôt le recours à la technologie PET Scan pour détecter le cancer de la prostate    Aménagement du parc national d'Ichkeul et protection des espèces menacées : une priorité pour le ministre de l'Environnement    La Liga: Le Rwanda désormais un sponsor de l'Atlético de Madrid    Nouveau communiqué du comité de l'ESS    Foot – Ligue 1 (28e journée) : Faux pas interdit pour le trio de tête    Tunisie : Le TMM à 7,50 %, plus bas niveau depuis février    L'été 2025 sera-t-il moins chaud que d'habitude ? Que disent les modèles scientifiques ? [Vidéo]    « Médecins en colère » : les jeunes praticiens tunisiens descendent dans la rue    Tunisair annonce une augmentation de son chiffre d'affaires au premier trimestre 2025    Foire internationale du livre de Tunis 2025 : hommages, oeuvres et auteurs primés au Kram    CAN U20 – Groupe B – 1ère journée – Tunisie-Nigeria (0-1) : Ils ont manqué de tact    Visite présidentielle à Dahmani : Les cinq points essentiels du discours de Kais Saïed (Vidéo)    Poulina réalise un résultat net individuel de 162 millions de dinars    Washington propose des discussions à Pékin sur les droits de douane    Israël bombarde Damas au nom des Druzes : l'impunité continue    Le président Kais Saïed vise à transformer les ruines du moulin de Dahmani en levier économique    L'Open de Monastir disparait du calendrier WTA 2025 : fin de l'aventure tunisienne ?    Signalgate : Trump se sépare de son conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz    Psychanalyse de la Tunisie : quatre visages pour une même âme    Ce 1er mai, accès gratuit aux monuments historiques    Par Jawhar Chatty : Salon du livre, le livre à l'honneur    La Suisse interdit "Hamas" sur son territoire à partir du 15 mai    Décès de la doyenne de l'humanité, la Brésilienne Inah Canabarro Lucas à 116 ans    « Un monument…et des enfants »: Les jeunes à la découverte du patrimoine tunisien les 3 et 4 mai    Bâtisseurs : un hommage filmé aux pionniers de l'Etat tunisien    Demain 1er mai, l'accès aux musées, aux sites et aux monuments sera gratuit    Décès de Anouar Chaafi, le talentueux metteur et scène et artiste tunisien tire sa révérence    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Les siestes du grand-père», récit de Monia Ben Jémia : Les crimes de l'ombre et du silence
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 02 - 2024

Au premier abord, ce livre de Monia Ben Jémia nous donne froid dans le dos avant même qu'on se décide à l'ouvrir. Ce n'est pas le titre écrit en rouge et en lettres capitales qui nous ébranle vivement, ni le regard noir et inquisitoire de la fillette trônant dans la photo en noir et blanc de la première de couverture et qui nous fixe dans les yeux et nous interpelle, mais c'est plutôt cet autre élément para-textuel très signifiant et qui n'est rien d'autre que le sous-titre, délibérément très disproportionné par rapport aux deux lignes que prend le titre et par rapport à ses caractères plus grands, mais volontairement explicite et brutal : «Récit d'inceste» !
L'ayant écrit en rouge aussi et mis en exergue, typographiquement, l'autrice — qui sait parfaitement où elle veut en venir, quelle monstruosité elle veut dénoncer et quelles victimes exécutées, sacrifiées, comme des offrandes à Apophis (le dieu du mal), sur l'autel des perversions assassines, elle veut défendre — met en oeuvre cette mention nécessaire pour compléter son titre principal et y mettre davantage de lumière. Une lumière crue et violente. Nul besoin pour elle de se draper dans la fausse pudeur ! Il y a urgence à ne pas y aller par quatre chemins et à appeler un chat un chat en annonçant d'entrée de jeu le problème autour duquel elle va articuler son récit, et tant pis s'il repousse aussitôt ceux qui s'interdisent, par peur ou par lâcheté ou encore par cécité volontaire, de savoir ce qui pourrait se passer avec les enfants innocents dans le silence des siestes perverses et criminelles ! D'aucuns risqueraient quand même d'hésiter 3 fois, c'est vrai, avant de se décider enfin à lire ce livre audacieux, troublant, poignant qui suscite tout à la fois le dégoût et la révolte et laisse dans la bouche un goût de cendre.
Peu importe si ce récit de Monia Ben Jémia est vraiment la narration d'une biographie exacte, celle d'une certaine Nedra, ou s'il raconte une biographie légèrement romancée, c'est-à-dire qui intègre des éléments fictifs ou quelque «mentir-vrai» «littéraire». Ce qui importe, c'est d'abord ce témoignage affligeant sur cette horreur qu'est l'inceste, doublée ici de pédophilie, et dont l'autrice fait son livre où le récit linéaire, plutôt détaillé et fourni, de l'histoire vitale d'une famille tunisienne ordinaire des années cinquante, progresse rapidement vers cet ogre dangereux par qui le scandale est arrivé ou plutôt qui n'est arrivé que dans cette œuvre littéraire. Car, dans la réalité, aucune révélation n'a été faite, aucune dénonciation n'a été osée : on préférait jouer à l'aveugle pour ne pas risquer de voir l' infamie, le crime, et être poussé à troubler l'ordre patriarcal couvert de la bonne morale et causer un humiliant scandale au «patriarche», le dénommé «Baba Mahmoud» vraisemblablement «honnête» et «pieux», créant autour de lui un charme trompeur et endormant tout le monde «qui lui obéissait au doigt et à l'œil» (p. 91) et faisait du grand-père qu'il était un être exemplaire au-dessus de tout soupçon, un «Dieu tout puissant» (p. 90) qui partit un jour au ciel sans être inquiété le moins du monde, sans rendre des comptes comme normalement les auteurs de pareils actes innommables. Lui qui, durant 10 ans entiers, abusait secrètement de sa petite-enfant, Nedra, pendant ses siestes paisibles dans son antre «sous les toits », au-dessus de la demeure-même de sa propre fille, après ses ablutions et sa prière de «El-Asr», quand toute cette atrocité sexuelle, mortifère, meurtrière, qu'il perpétrait, sans scrupules, sans coup férir, sur une fillette désarmée, est constamment enfouie dans un silence de pierre.
Prise dans les tentacules de la pieuvre, perdue, étrangère à elle-même, ne comprenant rien à ce qu'il lui arrivait et qui, dans sa petite tête d'enfant, se confondait lamentablement avec une espèce d' «affection», la petite Nedra perdait les mots qui auraient nommé ce crime, qui aurait dénoncé ce prédateur déguisé en un être aimant et bienveillant, n'ayant de cesse qu'il n'ait volé son plaisir vicieux, malade, criminel, de son petit corps, de son petit être ! Dans une espèce d'amnésie «protectrice» (p. 94) «inhérente à l'inceste» (Ibid.) et mêlée d'un écrasant sentiment de culpabilité, muette, elle tombait étrangement, noyait ces «images floues, effrayantes, froissées et roulées en boules épaisses qui piquent» (p. 48), ces images confuses et sales de «culbutes», «chatouilles», «frôlements» et autres gestes visqueux, gluants et dégueulasses qui la tuaient tous les jours à petits feux, cassaient son être fragile de l'intérieur, la transformaient en un vulgaire objet sexuel ,ou même en une pierre : «Quand la pieuvre la pousse vers lui, qu'il tend la main et la regarde, avant de la culbuter sur son lit, elle est tétanisée comme la première fois. Elle n'a plus de corps, elle est une pierre...» (p. 47).
C'est sur cette victime de la perversion criminelle qui ne s'est décidée à rompre le silence qu'à la fin de son âge adulte, lorsqu'elle fut éprouvée par une maladie grave et qu'il ne lui restait que peu de temps à vivre, que se concentre cette histoire où la narratrice par procuration (l'autrice elle-même) emploie d'abord, tout au long des 5 premiers courts chapitres («Une famille ordinaire», «Le vieux sous les toits», «Une maladie auto-immune», «Les cadeaux empoisonnés» et «Ma joli quand les coups du sort t'attendront») la 3e personne du singulier, «elle», désignant Nedra, l'incestée , puis, à l'entrée du chapitre ultime intitulé «Personne n'a rien vu» (pp.89-96), elle cède la parole à la 1ère personne du singulier «je», c'est-à-dire au personnage ou à la personne narrée, afin d'introduire plus d'intensité et de vraisemblance à ce témoignage que la victime prend enfin en charge pour dire les conséquences et les traces de cette atrocité sexuelle et psychologique qui l'avait frappée, enfant, tel un anathème : «J'ai passé ma vie en étant dissociée. Souvent on me disait que j'étais indifférente, détachée ou pire, hautaine. Je n'ai pas eu beaucoup d'amis. Au travail, beaucoup disaient que j'étais imbue de moi-même, prétentieuse. Ce que je n'étais pas, loin de là. Je n'avais aucune confiance en moi-même et faisais un double effort pour ne pas faillir et qu'il ne m'arrive pas ce qui m'était arrivé à la fac, avec mon exposé. J'avais un trac d'enfer quand je devais parler en public et j'ai dû prendre des calmants chaque fois que je devais le faire. C'était si épuisant ! Mon corps n'a pu supporter autant de stress. Ma maladie vient certainement de là (...). Comme une peau qu'on arrache, le bouc m'avait délesté de mon identité. Et couverte d'une peau d'âne...» (pp. 95-96).
Portée par une sincère volonté d'incrimination et de dénonciation, l'autrice, en passant de la 3e à la 1ère personne, semble s'identifier un peu à son personnage et le soutenir de très près, de l'intérieur de son propre corps, du plus profond de son être, dans sa parole thérapeutique, réparatrice de ce qui, en réalité, demeure, hélas ! irréparable à vie ! Même si la parole libérée permet de mettre du baume sur les plaies béantes, tout en les grattant et en en souffrant encore et toujours.
Militante féministe, femme vraisemblablement déterminée dans son combat pour la liberté et la dignité des personnes humaines et enseignante universitaire de droit à Tunis, Monia Ben Jémia a le mérite de traiter ici des sujets tabous, l'inceste et la pédophilie, dont on n'a pas coutume en Tunisie de débattre librement. Ecrit dans un très bon français et non sans quelque attachante «romanciation», bien réussie, son récit consternant qui ne semble point avoir la prétention d'être un vrai roman, mais qui met bien la lumière sur ce qu'on tait, sur ce qu'on cache et dont on a honte, pourrait éclairer les psychothérapeutes dans leur travail et recherches et aider à délier la langue aux victimes de ces abominables crimes de l'ombre et du silence.
Monia Ben Jémia, «Les siestes du grand-père. Récit d'inceste», Tunis, Cérès Editions, 2e édition, nov. 2022, 102 pages, format 12X21. Photo de la première de couverture : collection privée. ISBN-9789973198228.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.