Le Centre maghrébin d'études sur la Libye a été créé en juin 2015 à Tunis. Il veut tenter de renforcer les capacités d'intervention des organisations de la société civile locale, des conseils municipaux et des médias et cherche à consolider les échanges entre les divers courants intellectuels portés par l'élite de ce vaste et si longtemps méconnu pays. Son fondateur, le journaliste Rachid Khechana, est un spécialiste des affaires maghrébines, qu'il a notamment couvert pour le journal panarabe Al-Hayat, basé à Londres, et pour Swissinfo avant de diriger le desk Maghreb d'Al Jazeera de 2010 à 2014. Comme une prolongation naturelle de cette initiative, une revue bimestrielle indépendante éditée par le Centre vient de voir le jour, ‘‘Sho'oun Libiyya'' (Affaires libyennes). Le dossier de ce premier numéro, publié en arabe, anglais et italien, traite des enjeux géostratégiques de l'émigration illégale de et vers la Libye. En fait, depuis la chute du régime de Kadhafi en septembre 2011, la Libye, divisée, est en proie au désordre. Un maelstrom propice à l'implantation des soldats de Daech, mais aussi à l'émigration clandestine à partir d'un pays dont la situation géopolitique en fait une zone de transit du Sud vers le Nord. Une véritable tragédie humaine se déroule actuellement dans cette Libye frontalière avec la Tunisie, notamment lorsqu'on apprend, selon ‘‘Sho'oun Libiyya'', qu'entre 800.000 et un million de personnes s'apprêtent à traverser les côtes libyennes en direction de l'Italie ou de Malte. A la suite des «printemps arabes», le mouvement de départs de Libye et de Tunisie s'est accentué, soit pour fuir un Etat en guerre dans le premier cas ou un pays connaissant une crise économique grave dans le second cas. Des départs entraînant dans leur sillage les images désormais quasi quotidiennes des naufrages et de disparitions en mer de convois entiers d'adultes et d'enfants. Ainsi, cite la revue en se référant aux chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations : «Plus de 22.000 personnes sont mortes ou ont été portées disparues en tentant de gagner l'Europe depuis l'année 2000, soit 1.500 personnes chaque année et une victime chaque deux heures». En vidant la Libye de ses forces vives, ce flux migratoire ininterrompu porte préjudice aujourd'hui à un Etat qui veut construire des institutions transitoires, malgré tous les conflits qui le déchirent. Les contributions de sociologues, de politologues, de géographes, de démographes, de journalistes, tels Mouldi Lahmar, Barah Mikail, Hani Tarhouni, Antonio Moroni, Hassen Boubakri, Rachid Khechana, Yassine Najeh et bien d'autres encore décryptent le thème du dossier sous ses différents angles. Au sommaire de ce numéro également, deux études sur la situation alarmante de la presse en Libye et en Algérie, en plus d'un article important sur le phénomène tribal en Libye, signé par l'un des leaders de l'opposition libyenne sous Kadhafi et actuel ambassadeur, Dr. Abdemoncef El-Bouri. La dernière partie de ce numéro, qui a bénéficié du soutien de la fondation Hanns Seidel, est réservée à des notes de lecture des derniers ouvrages parus sur la Libye. Un numéro qui a réussi une gageure : s'aventurer dans le maelström libyen sans se perdre aucunement.