Fort de son nom, de sa riche expérience et de son audace, Fadhel Jaziri n'a pas peur d'entreprendre les projets ardus, de concrétiser les idées folles, de bousculer les convictions les plus ancrées… Et tant mieux, si ça passe, tant pis, si ça casse. Depuis près de 20 ans, il a multiplié les «éclats» suscitant, à chaque fois, les réactions les plus controversées, allant de l'enthousiasme admiratif aux critiques acerbes. Blasé, notre artiste continue son bonhomme de chemin, n'en faisant qu'à sa tête et à ses accès d'inspiration. Qui, à part lui, aurait osé monter «Nûba» à une époque où le «mezoued», considéré comme un genre mineur destiné à des marginaux, était quasi interdit dans les médias? Qui aurait pu défier les habitudes ancrées et décider que sa dernière pièce «Es'saba» (la moisson) soit jouée au coucher du soleil, juste pour avoir un effet «entre chien et loup», sinon lui? Qui aurait osé s'autoproclamer musicien et s'attaquer au difficile «malouf» pour le présenter «autrement» au risque de le dénaturer, comme il l'a fait dans «Ez'zaza» (la fête)? Ici et là, il a eu tantôt la main heureuse, tantôt beaucoup moins. Pour «El Hadhra 2010» et contrairement à la version 2001, il a pris beaucoup trop de liberté, au point de nous amener à nous demander s'il n'aurait pas mieux fait de donner un autre intitulé à son spectacle, qui s'apparentait davantage à une variété et à un show qu'à une «hadhra» réelle. Son désir manifeste d'en découdre avec le spectacle qu'il a monté avec Samir Agrebi où il avait déjà introduit avec finesse et discrétion des instruments et des tableaux inédits, l'a mené trop loin. Fadhel Jaziri et, vu ce qu'il nous a offert mardi dernier aux jardins du Palais Khéïreddine à la clôture du festival de la Médina a, en effet, oublié que la «hadhra» est avant tout chant. Or, les voix étaient, sauf en de rares occasions, outrageusement dominées par une musique «branchée» où les guitares, le saxophone et l'orgue étaient libérés de toute mesure. Le mystique et le liturgique s'en trouvèrent manifestement diminués. Le sentiment d'élévation métaphysique que procure ce genre de chant était tronqué, au profit de sons «in» venus d'ailleurs, accentués même visuellement par le guitariste jouant parfois au milieu de la scène en «rockman». De quoi accentuer la réelle perte de repères de notre jeunesse, d'autant que le spectacle était marqué par une présence massive de jeunes. Jaziri, à qui on reconnaîtra toujours le talent de scénographe, nous a offert quelques très beaux tableaux, mais il y avait une nette impression d'une superposition hétérogène et hétéroclite d'images et de mouvements à travers lesquels il a voulu brasser des chants de différentes régions du pays. Ce faisant, il n'a pas échappé au simplisme et même au puéril, comme lorsqu'il a eu recours aux bâtons pour marquer le rythme. Le foisonnement de couleurs, de costumes et de lumières qui ont dominé le spectacle, le talent de certaines voix dont le lauréat du concours du chant lyrique aux dernières «50 heures de musique», et l'introduction de l'élément féminin à qui il a même octroyé le rôle habituellement réservé aux hommes n'ont pas réussi à atténuer notre rejet de la version mélodique de plusieurs airs présentés, ni notre sentiment qu'on assistait à autre chose qu'à une «hadhra». Loin de toute considération religieuse, nous pensons que Fadhel Jaziri a encore beaucoup à apprendre, volet chant et musique. Il doit réaliser aujourd'hui que l'absence d'un véritable spécialiste à ses côtés, ne peut que lui être nuisible.